Sur le phoque : animal sacré, aliment du futur

28 Avr, 2023

Par Mange ton Saint-Laurent!

Lorsqu’on parle de phoque, il n’est pas rare que la conversation bifurque vers la chasse controversée des blanchons et la colère de Brigitte Bardot. Assurément, quelqu’un se mettra à chanter du Beau Dommage; crée-moé, crée-moé pas, quek’part en Alaska.

Mais l’histoire du phoque et de son importance majeure pour l’établissement des humains sur le territoire québécois, on dirait qu’on la connaît moins.

Phoque - crédit photo Gil Thériault

Crédit photo: Gil Thériault – Site web de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec

Et qu’en est-il de la situation actuelle des populations de phoques dans nos eaux? Et si le Québec bénéficiait du retour du phoque dans les cuisines québécoises ?

Un peu d’histoire

Les eaux québécoises sont fréquentées depuis toujours par 6 espèces de phoques distinctes. Le phoque à capuchon, le phoque annelé, le phoque barbu, le phoque commun, le phoque du Groenland et le phoque gris. Leur présence dans les eaux salées du Québec a permis aux Premiers Peuples et aux suivants de traverser les années et de s’adapter à la rudesse hivernale du territoire.

Les Inuit consomment surtout le phoque annelé – connu sous le nom de nattiq en Inuktitut – qu’ils chassent entre autres pour la viande, le gras et la peau, peau qui résiste à l’eau et qui est utilisée pour fabriquer des vêtements et des magnifiques kamik, des bottes traditionnelles. Toutes les parties de l’animal sont valorisées et le foie, souvent mangé cru sur la banquise, est un aliment fort prisé et reconnu pour tenir au chaud.

Crédit photo : Raoul Jomphe – Site web de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec

Au Nunavik, dans le Nord du Québec, le gras de phoque est utilisé entre autres pour faire du suuvalik, une recette traditionnelle sous forme d’émulsion à base d’œufs de poissons, de gras de phoque et de petits fruits comme les bleuets ou la camarine noire. On y prépare aussi du uarutilik, un mélange de chair de poisson comme de l’Omble chevalier, de gras de phoque et de petits fruits. 

Mamartuk! (ça goûte bon!)

Le gras de phoque sert aussi de combustible pour le qulliq, une lampe à l’huile traditionnelle utilisée pour fournir de la lumière et de la chaleur au cœur de l’hiver. Les aliments traditionnels comme le phoque demeurent au coeur de la culture Inuit en Arctique et on raconte que quelques bouchées de cette viande ont un effet enivrant et vous réchauffent le corps, voire vous feront transpirer!

La chasse au phoque a également eu une importance majeure chez les Innus de la Côte-Nord, qui adoraient sa chair grillée sur la braise et qui faisaient un très bon usage de chaque partie de l’animal. Comme les Inuit, les Innus se servaient de l’huile comme combustible pour l’éclairage et comme gras de cuisson.

La cuisine du phoque était très différente dans les familles d’origine européenne établies aux Îles-de-la-Madeleine et sur la Côte-Nord. Chez les “Canadiens français”, l’huile de phoque servait pour la friture du poisson et des pâtisseries. La chair était transformée en bouilli, en rôti, en ragoût ou en braisé. On se servait aussi du sang de l’animal pour épaissir les sauces.

À l’heure actuelle, la viande de phoque, surnommée loup-marin sur l’archipel, est consommée par plusieurs familles aux Îles-de-la-Madeleine et elle représente une réelle fierté régionale. Bien que les Madelinots et les Madeliniennes chassent traditionnellement le phoque du Groenland, ils et elles s’adonnent de plus en plus à la chasse au phoque gris dont la chair est particulièrement savoureuse. En effet, il semble que les données officielles, qui datent de 2016 et mentionnent surtout le phoque du Groenland, ne représentent plus tout à fait le portrait sur le terrain et que le phoque gris soit maintenant le plus fréquent dans les assiettes.

Quoiqu’il en soit, la viande de loup-marin est valorisée de plusieurs façons dans les communautés où l’animal est chassé. Par exemple, connaissez-vous les croxignoles? Il s’agit de beignets en forme de tresses cuits dans l’huile de loup-marin. Cette recette typiquement madelinienne permet aux gens de se rassembler pour un moment d’échange et de cuisine en plein-air (on cuit les croxignoles dehors puisque l’odeur de la friture peut être tenace dans les maisons!). Le burger de phoque au restaurant Les Pas Perdus et le tataki de phoque de la cheffe Johanne Vigneau du restaurant Gourmande de nature ont maintenant aussi la cote aux Îles!

Bien connaître le patrimoine culinaire de la province est une belle richesse. L’histoire nous démontre toute l’ingéniosité des familles qui ont peuplé le territoire avant nous. La cuisine historique nous parle de biodiversité et de savoir-faire et nous pousse à nous questionner sur notre rapport actuel à notre territoire nourricier. Si le phoque semble avoir été abondamment chassé par les peuples qui côtoyaient les eaux salées du Saint-Laurent et de l’Atlantique, qu’en est-il aujourd’hui?

Petites notions biologiques

On estime que chaque phoque adulte mange de 1,5 à 2,0 tonnes de poisson et de fruits de mer en une seule année. Plusieurs études démontrent que la prédation par les phoques gris et la compétition pour la nourriture ont des répercussions importantes sur le rétablissement des stocks de morue et d’autres poissons de fond, entre autres dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Selon les plus récentes statistiques, aucune des espèces de phoques présentes sur le territoire n’est en danger. Actuellement, on retrouve plus de 500 000 phoques gris et environ 7,4 millions de phoques du Groenland dans nos eaux. Annuellement, la quantité de poissons mangés par les phoques équivaut à presque 20 fois ce qui est prélevé par l’ensemble des pêcheurs commerciaux. Mais comment faire pour régulariser les populations de phoques afin de réduire cette pression énorme qui pèse sur les populations de poissons? La réponse: le phoque a besoin d’un prédateur.

Crédit photo : Gil Thériault – Site web de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec

Au Québec, il en existe deux: le requin blanc et l’humain. Et comme la présence de requin blanc n’est pas souhaitable près des côtes (bien qu’ils soient de plus en plus présents), la chasse apparait comme l’une des solutions viables.

Une chasse éthique

Loin de ressembler à l’image que l’on se fait de la chasse aux blanchons et des carnages sur les banquises, la chasse du phoque est extrêmement respectueuse et rigoureusement encadrée. Les chasseurs et chasseuses doivent respecter la méthode d’abattage ‘en trois étapes’ et sont supervisés pendant 2 ans par un-e chasseur-se professionnel-le.  À noter que les phoques gris et du Groenland au Canada sont des ressources marines abondantes, renouvelables et certifiées par le programme Fourchette bleue.

Si vous avez envie d’apprendre à chasser le phoque, Exploramer à Saint-Anne-des-Monts offre une formation sur la chasse au phoque récréative en collaboration avec Réjean Vigneau, chasseur émérite et propriétaire de la Boucherie Côte à Côte et Yannick Ouellet, chef culinaire de la région.

Gastronomie

C’est une viande rouge foncée, presque noire, qui rappelle le goût des grands gibiers sauvages, avec une petite touche marine au goût légèrement ferreuse parce qu’elle est fort riche en fer. Comme le phoque vit en eau froide, sa chair est entourée d’une couche de graisse de protection, que l’on retire tout de suite après l’abattage, découvrant une viande tendre, mince et délicate.

Crédit photo : Benoit Lenglet, seadnacanada

Les Madelinots espèrent voir la popularité de la viande de loup-marin prendre de l’importance dans les cuisines québécoises. Certains restaurateurs en font leur fierté (on salue nos amis de Côté-Est à Kamouraska!) et font découvrir le produit à leur clientèle. Quelques poissonneries québécoises offrent aussi de la longe, des saucissons ou des boulettes de loup-marin, mais il demeure presque exotique, voire inconnu de la majorité des Québécoises et Québécois..  

Une viande biologique et délicieuse, présente dans nos eaux en quantité importante et qui en plus témoigne de notre histoire et contribue au développement de notre identité culinaire et de notre souveraineté alimentaire?

Vous aimeriez y goûter ?  Vous pouvez vous en procurer à la boucherie Côte à Côte (aussi en ligne) et dans les poissonneries Fou des Îles, Délices de la mer et La mer. On le retrouve entre autres sur plusieurs menus aux Îles-de-la-Madeleine mais aussi sur le menu de Côté-Est qui sert leur fameux burger Phoque Bardot 😉 Le gras de phoque est fort riche en oméga-3 et commercialisé sous forme de gélules par SeaDNA

Concernant la chasse, à noter que:

  • Le ministère des Pêches et des Océans (MPO) du Canada surveille rigoureusement le quota pour les troupeaux de phoques canadiens.
  • Les outils d’application de la loi du MPO comprennent: la surveillance aérienne, le repérage par satellite des navires, les patrouilles en mer et les inspections, les inspections des quais.
  • Il est illégal de récolter les blanchons au Canada depuis 1987.
  • La récolte responsable des troupeaux de phoques en croissance est reconnue comme étant importante pour le maintien de l’éco-diversité.
  • En 2016, on estimait à 9 710 le nombre de titulaires d’un permis de chasse commerciale au phoque au Canada et de ce nombre, moins de 1000 chasseurs de phoque pratiquaient activement à la chasse.
  • En 2016, la quantité de phoques chassés représentaient moins de 15% du quota annuel, soit près de 67 000 phoques du Groenland et seulement 1 612 phoques gris. Tel que mentionné dans l’article, à noter que nous estimons que la proportion de phoques gris chassés (comparativement à la quantité de phoques du Groenland) ait augmentée depuis 2016. 

Pour en savoir plus sur le phoque:

Vous aimeriez en apprendre davantage sur les éléments à connaître pour une consommation éclairée de phoque gris et des précautions à prendre durant la grossesse? Lisez notre article Pour une consommation éclairée du phoque gris.

Vous aimeriez voir un super film sur le sujet aux Îles? Le film Chasseurs de phoque de Nicolas Lévesque.

Un autre super film sur la chasse au phoque du Nunavut? Le film Inuk en colère de Alethea Arnaquq-Baril.

Enfin, visionnez le reportage, Faut-il chasser le phoque gris ?, de Carbone (Radio-Canada) avec entre autres Réjean Vigneau, chasseur émérite et propriétaire de la Boucherie Côte à Côte, Ghislain Cyr, capitaine pêcheur et François Gaulin de Total-Océan, qui fait portrait de la chasse actuelle aux Îles-de-la-Madeleine et de tout le travail impliqué derrière la consommation de phoque.

Crédit photo : Gil Thériault – Site web de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec

Références