Sandra Autef, rigueur et passion en cannes

1 07 2021

Hélène Raymond

Journaliste, animatrice et auteure

Diplômés du Québec ou de France, Sandra Autef, Emmanuel Sandt-Duguay et Guillaume Werstink se sont croisés à l’Université du Québec à Rimouski. Une fois sur le marché du travail, ils ont noué des liens professionnels, en paires et en trio.

Pour Sandra et Emmanuel, c’était à l’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Malécite (AGHAMM) alors que Guillaume et Emmanuel se côtoyaient informellement, avant de conclure un partenariat d’affaires.

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Ils bâtissent ensemble une conserverie artisanale à Rimouski. Mange ton Saint-Laurent s’intéresse de près à cette démarche qui s’inscrit hors des cadres habituels. Après un premier texte sur la genèse du projet, voici l’ABC de la conserve, selon Chasse-Marée.

Elle est intarissable au téléphone. Spontanément, Sandra Autef remonte en arrière pour poser les jalons de l’historique de la conserve. Elle raconte Nicolas Appert, qui, poussé par l’État français qui veut permettre aux soldats au front de mieux se nourrir au début du XVIIIe siècle, découvre qu’en remplissant et bouchant des bouteilles de champagne avant de les plonger dans un bain d’eau bouillante, on peut préserver les contenus de la contamination et prolonger la conservation. Puis, elle enchaîne avec Louis Pasteur qui comprend, soixante ans plus tard, ce qui s’opère dans le contenant quand ce traitement thermique, combiné à l’anaérobie, anéantit des pathogènes. Elle mentionne ensuite la mise au point de la boîte de fer-blanc, par les Anglais. Une innovation qui sera le déclic d’une des révolutions de la transformation alimentaire et qui aura des retombées jusque dans nos régions maritimes, avec l’apparition de conserveries de homard en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine.

Aujourd’hui, Chasse-Marée parie sur des saveurs du Saint-Laurent, à partir de deux mollusques : le bourgot et la mactre de Stimpson. L’entreprise proposera des aliments prêts à manger, festifs, capables de patienter dans les garde-manger en dehors des saisons de capture.

Sandra poursuit, avec un rappel des principes scientifiques cette fois. Elle m’explique le rôle du PH : « Tout se joue sur le taux d’acidité de l’aliment. S’il est en bas de 4,6, on peut traiter à l’eau bouillante, comme Nicolas Appert. Plus haut? Nous devons stériliser l’emballage, en élevant la température à un degré plus haut que celui de l’eau qui bout, grâce à la pression exercée dans le milieu fermé qu’est l’autoclave. » Jusque-là, on retrouve les principes de la mise en conserve domestique, mais les choses se compliquent puisqu’il s’agit de d’aliments contenant des protéines animales et destinés à la vente: « Ensuite, il faut établir les valeurs de létalité, ce qui me permettra de dire, en fonction du produit, des ingrédients, du temps de traitement et de refroidissement que mon transfert d’énergie est correct et que le contenu est propre à la consommation.

Plutôt que d’opter pour la conserve de verre, Chasse-Marée choisit la boîte de métal, la fameuse « canne », difficile à trouver sur le territoire nord-américain sauf pour le sirop d’érable! « On s’est donc tournés vers le marché européen pour dénicher un fournisseur en Galice. Des boîtes RO170 (pour 170 ml), imprimables sur les côtés : « C’est ce qu’on appelle des cannes deux pièces. On verse le contenu dans la première et une opération manuelle dirige la boîte dans la sertisseuse pour la pose du couvercle. L’enjeu, c’est de limiter la présence d’air, qui a pour effet de provoquer l’oxydation à la surface, ce qu’on veut éviter. »

La leçon suivante porte sur la quête de saveur, qui nous ramène à l’essence même de l’entreprise. Il faut comprendre que si c’est bon dans l’assiette, ce n’est pas automatiquement bon au sortir de l’autoclave!

« Le traitement thermique joue sur le goût. En particulier celui des épices. Prends la livèche, que j’adore. Son côté céleri disparaît à la cuisson, ne reste qu’une forte amertume. »

Aucun outil ne lui permet de prédire le résultat. Sandra procède de manière scientifique. En partant d’une base (bourgot ou mactre de Stimpson), elle joue avec les saumures, l’huile, les marinades, les aromates, les temps de cuisson et de refroidissement, ne modifiant qu’une donnée à la fois pour comprendre ce qui fait le succès ou l’échec: « Un travail de fourmi! », reconnaît-elle, ranimant ainsi une expertise qui semble en voie de disparaître.

En attendant la fin de l’aménagement de l’usine, la réception de l’autoclave (espéré pour octobre), la délivrance du permis, les tests qui continueront de s’additionner aux plus de 150 autres réalisés à la mi-juin, la réflexion d’équipe sur le graphisme, Sandra Autef a du pain sur la planche! « Actuellement, j’ai quatre ou cinq très bonnes recettes. Je compte démarrer avec trois cannes gourmandes, hivernales et poursuivre au printemps 2022 en enrichissant la gamme avec des mélanges plus frais. » En attendant, elle goûte, note, recommence et rêve de constituer un premier lexique de nos saveurs boréales, pour que tout ce travail puisse servir à d’autres.

Pour Manger notre Saint-Laurent, ce projet de Chasse-Marée nourrit la réflexion sur l’offre locale de produits distincts, adaptés aux nouvelles exigences des mangeurs. Et il n’y a pas qu’ici que la curiosité bouillonne : « Des conserveurs bretons prennent des nouvelles régulièrement pour savoir où nous en sommes. Ils trippent! Je me rends compte que là-bas, le transfert d’entreprises familiales de génération en génération limite la créativité et complique les choses quand on veut sortir des sentiers battus », conclut Sandra Autef. Si tout va bien, on pourra, d’ici la fin de l’année, goûter le fruit de toute cette réflexion stimulante (croisons les doigts!). En attendant, nous reprendrons des nouvelles et vous tiendrons au courant.