Pêche-coque et vives-eaux
Mya arenaria. Mye commune. Si l’on creuse un peu, on lui trouve des racines étymologiques
mi-latines, mi-grecques, qui signifient «coquillage vivant dans le sable».
On appelle aussi ce mollusque bivalve «coque».
Pâques 1956
Bien sûr, il adorait surtout voir la fierté se poser sur le visage de sa mère et de ses grandes soeurs lorsqu’il ramenait des oiseaux, des poissons ou des coquillages comme contribution à la survivance familiale. La famille Leblanc était constituée de 4 filles et de 5 garçons qui fréquentaient tous ce que leur mère appelait le quadrilatère sacré : l’église, la petite école, la nature et la fermette familiale.
L’hiver 1956 avait été long. Les Leblanc étaient presque arrivés au bout de leurs ressources. Il ne restait pratiquement rien de l’orignal tué à l’automne par Claude et Michel, toutes les perdrix et les oies avaient été rôties et avalées, on avait fait la passe au grand flétan, cuisiné tous les harengs fumés et il restait juste assez de lard salé pour subsister jusqu’à l’arrivée des oiseaux migrateurs.
Chose heureuse, le printemps – fidèle à son habitude – avait fini par cogner à la porte, vêtu d’espoir, de soleil et de joie. Mais pour les Leblanc – comme pour la plupart des Gaspésiens, des Acadiens et des Madelinots – l’arrivée du printemps marquait surtout la grande ouverture de la pêche aux coques. Et la pêche aux coques, elle, était un événement à ne pas manquer; une célébration de la liberté; une promesse d’abondance.
À Pâques de cette année-là, sur la grève, une dizaine de familles s’étaient réunies pour pêcher. Pâques marquait toujours le début des festivités printanières et maritimes. C’était l’occasion parfaite pour jaser, courir, lâcher son fou et partager les premiers moments de douceur, dehors, ensemble.
Pendant que les hommes enfilaient leurs grandes bottes de pêcheurs et leurs gants de caoutchouc qui montent jusqu’en haut des coudes et que les femmes préparaient les chaudières trouées et les bacs grillagés qui font office de passoires, Edmond, lui, s’affairait déjà à donner des coups sur le sol afin de deviner l’emplacement des coques. Sous l’impact, les mollusques – de véritables petites pompes – crachaient un jet d’eau hors du sable, révélant leur position exacte.
Tout excité, l’enfant avait crié : «Pôpa! Icitte! Il y en a plein icitte!» et il avait continué son travail de repérage.
Edmond s’efforçait de bien se souvenir de chaque élément. Assis sur un rocher, il répétait à voix haute:
– Mais qu’est-ce que tu racontes?
Elle s’appelait Jenny. Edmond, les deux mains dans le sable, en était tombé amoureux.
Pâques 2023
Tout le monde avait le cœur à la fête. Ça criait, riait, discutait, cuisinait. Dans le brouhaha, Mathieu, le plus vieux de Jenny et Edmond, a grimpé sur une chaise et a levé l’index vers le ciel. Et avec une grosse voix, comme pour imiter son père, il s’est mis à entonner: «Oubliez jamais ça, les enfants!» et toute la famille, soudée par les traditions et unie par le rire, a complété :
«Marée basse, pleine lune, lune noire, vives-eaux, pêche-coque, vent d’ouest et… bonne humeur!».
Si jamais vous avez envie de vous adonner à la pêche aux coques, assurez-vous d’abord que la zone où vous voulez les cueillir soit ouverte pour une auto-cueillette sécuritaire et durable!
Références
Consultez la fiche de la mye commune de Mange ton Saint-Laurent
À propos de l'autrice
Elisabeth Cardin est une autrice et rédactrice installée à Saint-Jean-Port-Joli. Formée en horticulture et en écologie, elle a été copropriétaire du restaurant Manitoba à Montréal, où elle a su mettre de l'avant pendant 8 ans le patrimoine culinaire québécois. En 2021, elle publie L'érable et la perdrix, l'histoire du Québec à travers ses aliments et Le temps des récoltes: cultiver le territoire. Elle collabore actuellement avec divers magazines et journaux comme Caribou, Beside, Dinette, Nouveau Projet, le Devoir et plus récemment, avec le collectif Mange ton St-Laurent. Elle est aussi la scénariste et narratrice du balado Manger le territoire et l'autrice du Manifeste de la résilience des fermiers et fermières de famille du Québec.
Crédit photo: Philippe Richelet