Pêche-coque et vives-eaux

26 Avr, 2023

Une nouvelle fictive inspirée de la pêche aux coques
Par Elisabeth Cardin
Autrice et rédactrice

Mya arenaria. Mye commune. Si l’on creuse un peu, on lui trouve des racines étymologiques
mi-latines, mi-grecques, qui signifient «coquillage vivant dans le sable».

Et si l’on creuse le sable, on la retrouve elle, prête à nous indiquer que la saison de la liberté et du renouveau est commencée.

On appelle aussi ce mollusque bivalve «coque».

Dans la Baie-des-Chaleurs, comme partout où on la pratique, la pêche aux coques est une fête familiale et saisonnière témoin d’une longue histoire d’amour avec les traditions et avec le territoire nourricier.
Pêche aux coques sur le Banc de Saint-Omer (Carleton-sur-Mer) – vers 1950-1960, © Ministère de la Culture et des Communications

Pâques 1956

Edmond Leblanc est né à Bonaventure. À l’âge de 6 ans, il savait déjà trapper le lièvre et câler l’orignal. Ses frères aînés lui avaient tout montré de la chasse et de la pêche et le petit Edmond avait développé une véritable passion pour la forêt, le fleuve, et pour tout ce qu’on y trouve à manger.

Bien sûr, il adorait surtout voir la fierté se poser sur le visage de sa mère et de ses grandes soeurs lorsqu’il ramenait des oiseaux, des poissons ou des coquillages comme contribution à la survivance familiale. La famille Leblanc était constituée de 4 filles et de 5 garçons qui fréquentaient tous ce que leur mère appelait le quadrilatère sacré : l’église, la petite école, la nature et la fermette familiale.

L’hiver 1956 avait été long. Les Leblanc étaient presque arrivés au bout de leurs ressources. Il ne restait pratiquement rien de l’orignal tué à l’automne par Claude et Michel, toutes les perdrix et les oies avaient été rôties et avalées, on avait fait la passe au grand flétan, cuisiné tous les harengs fumés et il restait juste assez de lard salé pour subsister jusqu’à l’arrivée des oiseaux migrateurs.

Chose heureuse, le printemps – fidèle à son habitude – avait fini par cogner à la porte, vêtu d’espoir, de soleil et de joie. Mais pour les Leblanc – comme pour la plupart des Gaspésiens, des Acadiens et des Madelinots – l’arrivée du printemps marquait surtout la grande ouverture de la pêche aux coques. Et la pêche aux coques, elle, était un événement à ne pas manquer; une célébration de la liberté; une promesse d’abondance.

À Pâques de cette année-là, sur la grève, une dizaine de familles s’étaient réunies pour pêcher. Pâques marquait toujours le début des festivités printanières et maritimes. C’était l’occasion parfaite pour jaser, courir, lâcher son fou et partager les premiers moments de douceur, dehors, ensemble.

Pendant que les hommes enfilaient leurs grandes bottes de pêcheurs et leurs gants de caoutchouc qui montent jusqu’en haut des coudes et que les femmes préparaient les chaudières trouées et les bacs grillagés qui font office de passoires, Edmond, lui, s’affairait déjà à donner des coups sur le sol afin de deviner l’emplacement des coques. Sous l’impact, les mollusques – de véritables petites pompes – crachaient un jet d’eau hors du sable, révélant leur position exacte.

Tout excité, l’enfant avait crié : «Pôpa! Icitte! Il y en a plein icitte!» et il avait continué son travail de repérage.

Le père Leblanc était un excellent pêcheur de coques. Il avait appris de son père, qui lui, avait appris d’un ami Mi’gmaq. À l’époque, la pêche aux coques était une affaire d’hommes, mais avec le temps, la tradition était devenue plus inclusive et l’arrivée des femmes et des enfants dans l’exercice avait permis de développer le côté festif de la chose.
Edmond, ses frères et ses soeurs écoutaient attentivement leur père répéter – comme s’il récitait une comptine – les conditions idéales pour une pêche aux coques réussie: «Oubliez jamais ça, les enfants. Marée basse, pleine lune, lune noire, vives-eaux, pêche-coque, vent d’ouest et … ?» Et les enfants complétaient : «Bonne humeur!».

Edmond s’efforçait de bien se souvenir de chaque élément. Assis sur un rocher, il répétait à voix haute:

«On appelle vives-eaux les deux plus grandes marées du mois, qui surviennent lors de la pleine lune et de la nouvelle lune. Lune noire est synonyme de nouvelle lune. Un pêche-coque est l’outil – une pelle à dents ou une fourche – qui sert à déloger les coques de leur trou. Le vent d’ouest est plus doux que le vent d’est! Les marées descendent plus bas, quand ça souffle moins fort.»

– Mais qu’est-ce que tu racontes?

Derrière Edmond se tenait une fillette d’environ son âge, avec la peau foncée, le visage rond et les cheveux noirs. Il ne l’avait jamais vue auparavant mais il devina, à sa manière de parler et à son apparence, qu’elle était Mi’gmaq. Il avait en admiration cette communauté voisine, qu’il savait proche de la nature et détentrice de techniques de chasse et de pêche hors du commun. En la voyant, il avait été bouche-bée (il la trouvait jolie) mais avait fini par dire: «Ah, euh, bin rien. Je parlais tout seul». La jeune fille avait éclaté de rire et lui avait pris la main avant de l’entraîner vers le large où elle lui avait montré à sortir des coques du sable à mains nues.

Elle s’appelait Jenny. Edmond, les deux mains dans le sable, en était tombé amoureux.

Nicole Labillois pêche à sec sur la batture de Miguasha (Nouvelle) – avril 2017, Louise Saint-Pierre, ©Ministère de la Culture et des Communications

Pâques 2023

Les enfants avaient tous quitté la Gaspésie. Une était rendue à Québec, un à Montréal et les deux autres dans le Bas-St-Laurent. Mais Pâques approchait et Jenny et Edmond savaient qu’ils auraient bientôt la joie de les retrouver, tous les quatre (et les petits-enfants!) le temps d’un long weekend. Même après les 67 ans qui s’étaient écoulés depuis leur première rencontre, la grande fête de la pêche aux coques était demeurée leur moment préféré de l’année. Heureusement, ils avaient su transmettre l’amour de la pêche aux coquillages à leurs enfants qui eux, s’étaient fait un devoir de le transmettre aux leurs.
Pêcheurs de coques le Vendredi saint sur la batture de Miguasha (Nouvelle) – Louise Saint-Pierre, © Ministère de la Culture et des Communications
Dans la cuisine achalandée se bousculaient trois générations de pêcheurs et pêcheuses de coques et la grande satisfaction de la récolte du jour.
Le vendredi saint avait été extraordinaire, car la lune était bien pleine et les Leblanc le savaient : pleine lune voulait dire marée basse et donc, excellente pêche. Les coques, qu’on avait laissées à tremper toute la nuit afin qu’elles crachent le sable qu’elles contenaient, étaient prêtes à être transformées en festin pascal.
On se partageait la tâche. D’un côté, un petit groupe avait décidé de faire la recette traditionnelle de la grand-mère Leblanc: coques à la sauce béchamel, carottes, patates et sarriette. De l’autre, on avait opté pour les coques en friture. Jenny, elle, préparait le classique de sa famille: la soupe aux coques à la menthe sauvage. Et on s’était gardé des palourdes à manger à l’apéro, cuites à la vapeur avant d’être trempées dans le vinaigre, puis dans l’eau de mer. Les adultes accompagneraient cette entrée d’une bonne bière de microbrasserie locale.

Tout le monde avait le cœur à la fête. Ça criait, riait, discutait, cuisinait. Dans le brouhaha, Mathieu, le plus vieux de Jenny et Edmond, a grimpé sur une chaise et a levé l’index vers le ciel. Et avec une grosse voix, comme pour imiter son père, il s’est mis à entonner: «Oubliez jamais ça, les enfants!» et toute la famille, soudée par les traditions et unie par le rire, a complété :

«Marée basse, pleine lune, lune noire, vives-eaux, pêche-coque, vent d’ouest et… bonne humeur!».

À propos de l'autrice

Elisabeth Cardin est une autrice et rédactrice installée à Saint-Jean-Port-Joli. Formée en horticulture et en écologie, elle a été copropriétaire du restaurant Manitoba à Montréal, où elle a su mettre de l'avant pendant 8 ans le patrimoine culinaire québécois. En 2021, elle publie L'érable et la perdrix, l'histoire du Québec à travers ses aliments et Le temps des récoltes: cultiver le territoire. Elle collabore actuellement avec divers magazines et journaux comme Caribou, Beside, Dinette, Nouveau Projet, le Devoir et plus récemment, avec le collectif Mange ton St-Laurent. Elle est aussi la scénariste et narratrice du balado Manger le territoire et l'autrice du Manifeste de la résilience des fermiers et fermières de famille du Québec.

Crédit photo: Philippe Richelet