« On est trois et on a la foi!» Le Bas-Saint-Laurent accueillera une nouvelle conserverie
Par Hélène Raymond
Journaliste, animatrice et auteure
Chasse-Marée voit le jour en 2016. L’entreprise rimouskoise, qui commercialise en circuit court des espèces du Saint-Laurent dans les établissements gastronomiques, a pour mission de leur fournir des produits de qualité irréprochable, et d’assurer une traçabilité parfaite.
L’élément déclencheur? Une rencontre entre un de ses propriétaires, Emmanuel Sandt-Duguay, avec Normand Laprise et Colombe Saint-Pierre, sur le quai de Rimouski. Présent dans la région pour une conférence, le chef montréalais demande à jaser avec un pêcheur pour connaître sa réalité. Emmanuel lui raconte son métier, ils échangent ensuite sur la difficulté d’obtenir des poissons acheminés directement du bateau à la cuisine du restaurant.
Emmanuel relève le défi et se lance en préparant quelques boîtes à partir de ce qu’il capture : « Ça fonctionne bien! », nous dira-t-il. Puis, il s’associe à Guillaume Werstink qui prend en charge la logistique.
Il explique : « On constate rapidement que nous répondons à un besoin que ne comblent pas les distributeurs. Les chefs ne veulent pas que des poissons, ils souhaitent savoir qui les a pêchés, d’où ils viennent, être en phase avec la saison. On commence avec Toqué! pour passer ensuite à une dizaine de restaurants. Et on double. »
Du même souffle, il avoue être confronté à l’adéquation entre l’offre et la demande : « Les jours de mauvais temps, quand nous ne pouvons sortir en mer, il devient impossible d’expédier des boîtes. Et ça se complique en cuisine s’il faut annuler les livraisons de fins de semaine. S’ajoute la rentabilité. Les petits établissements représentent de petites commandes et de grosses dépenses! En particulier s’il faut distribuer à la porte. Pour qu’on continue, il faut faire plus. » D’où l’idée trois ans après le démarrage, de mettre en place une autre activité commerciale qui permettra de diversifier les opérations. Ce sera une conserverie. Le duo devient trio, à l’arrivée de Sandra Autef. Tous trois ont regardé et goûté ce qui se fait en matière de produits haut de gamme en Europe. Ils rêvent contenus et contenants pour nos espèces marines. Et, en 2019, ils « tombent » sur un bâtiment à vendre, qui répond à leurs besoins, à Rimouski.
Depuis? Dans l’ordre ou le désordre, voici une courte liste des étapes franchies : réunions multiples; offre d’achat de l’établissement; rédaction d’un plan d’affaires; rencontre avec le Comité d’intérêt public qui évalue ce type de demande de permis, dans une optique qui prend en compte les autres acteurs du milieu; obtention de lettres d’appui des usines qui leur assureront l’approvisionnement et d’incalculables courriels et échanges virtuels! Et ce, sans avoir mentionné les mots pandémie, confinement, délais, inquiétudes, insomnies. Puis, en novembre 2020, ils reçoivent du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, une « lettre d’offre de permis », valable une année. Quant au financement, il suivra en mars 2021 et leur permettra de donner le coup d’envoi au montage de l’atelier. Une inspection rigoureuse validera les installations avant le démarrage officiel. Ce processus s’applique à tous les établissements de transformation alimentaire, quelle que soit leur taille.
Mactre de Stimpson et bourgot pour commencer
Dans le contexte québécois, pour arriver à créer de toutes pièces une nouvelle entreprise, la route est longue et complexe. La capture des espèces marines sauvages se répartit entre les pêcheurs professionnels, sur des zones diverses. Les représentants des législateurs ont l’obligation de composer avec la disponibilité de ces ressources fragiles, l’impact de l’effort de pêche sur les stocks et leur renouvellement. Ils tiennent également compte de la réalité du terrain quant à l’approvisionnement des usines du territoire.
À très petite échelle, le trio de Chasse-Marée transforme un ordre établi, entrouvre une porte. Il souhaite mettre en marcher ses premières conserves-apéros aux saveurs locales à la fin de l’année et élaborer d’autres produits. Du côté des captures destinées à la restauration, Chasse-Marée continue de réfléchir aux moyens de prolonger les saisons. En attendant, la nouvelle de la venue de cette conserverie a de quoi réjouir les gourmets comme les promoteurs du développement régional. Plusieurs soulignent le fait que le secteur a besoin de sang neuf pour mieux faire connaître le Saint-Laurent et ses espèces en touchant d’autres clientèles et qu’il importe de repenser les façons de faire pour faciliter l’entrée de nouveaux joueurs.
Manger notre Saint-Laurent s’intéresse à ce projet qui renouvelle le genre. Notre prochain article traitera des essais en cours, des tests organoleptiques et du fonctionnement d’une conserverie. En attendant, sachez que dans un bâtiment de Rimouski trois fous du fleuve travaillent d’arrache-pied à porter le Saint-Laurent jusqu’à nos papilles, tout cuit dans le bec!
Crédit photo : Chasse-Marée