Les pêcheries dans le Saint-Laurent maritime: une économie tournée vers les exportations
Par Gabriel Bourgault-Faucher
Institut de recherche en économie contemporaine (IREC)
Il y a longtemps que les richesses marines du Saint-Laurent sont prisées et font l’objet d’une exploitation commerciale.
Il y a longtemps que les richesses marines du Saint-Laurent sont prisées et font l’objet d’une exploitation commerciale. Des expéditions de pêche menées par les premiers Européens traversant l’Atlantique, aux commerçants issus de l’Empire britannique installés sur les rives de la Gaspésie, en passant par les pêcheries en Nouvelle-France: le Saint-Laurent maritime a été au cœur d’activités économiques de premier plan au cours des derniers siècles. Loin de s’affaiblir, ces activités se sont intensifiées au tournant du 21e siècle, au point où les pêcheries sont devenues une véritable locomotive du secteur bioalimentaire au Québec.
Un fil rouge traverse ces époques de l’économie de la pêche: la majeure partie des produits de la mer capturés et transformés ont d’abord et avant tout été destinés à l’exportation.
Cette situation, disons-le, génère d’importants bénéfices pour l’industrie des pêches et procure un levier exceptionnel à l’économie bioalimentaire québécoise. Elle soulève par ailleurs des défis d’envergure lorsque vient le temps d’aborder les questions de l’autonomie alimentaire et de l’accessibilité des Québécois aux produits de la mer du Saint-Laurent.
La présente capsule vise à présenter les principales caractéristiques de cette économie axée sur les marchés d’exportation, ainsi que les choix de politique publique au Canada et au Québec qui l’ont façonnée au cours des dernières décennies.
Des chiffres pour se situer
En 2018, seulement 19% des produits de la mer étaient vendus sur le marché québécois, le reste étant exporté dans d’autres provinces (19%) ou à l’international (62%) (1). Les données récentes montrent que la propension à exporter ne faiblit pas.
De 2005 à 2016, la valeur totale des exportations des pêches et aquaculture commerciales au Québec est passée de 201 millions de dollars à 346 millions de dollars. En 2019, les données de Pêches et Océans Canada indiquaient que la valeur des exportations du Québec ou du Canada? atteignait désormais 436 millions de dollars, ce qui constitue une croissance considérable (2). Si la valeur des exportations a augmenté dernièrement, il faut toutefois noter que les quantités exportées sont plutôt stables et avoisinent les 20 à 25 mille tonnes annuellement (3).
Cette croissance de la valeur des exportations pour des quantités constantes reflète à la fois: la hausse tendancielle des prix des poissons et fruits de mer sur les marchés internationaux au cours des dernières années (4); le fait que le secteur de la transformation des produits de la mer au Québec remonte progressivement la chaîne de la valeur: on y retrouve de plus en plus de deuxième et de troisième transformation (5) , là où se réalise la valeur ajoutée.
Du reste, sur la période s’étalant de 2005 à 2016, il est également possible de constater que la part des États-Unis dans la valeur totale des exportations est demeurée stable. Depuis plusieurs années déjà, environ 80% des exportations de produits de la mer y sont destinés, surtout vers Boston, où se tient la plus grande foire commerciale des poissons et fruits de mer du continent, le «Seafood Expo North America» (6). En 2017, les autres principales destinations sont le Japon (4,75%), le Danemark (4,11%), la Chine (3,45%) et le Vietnam (1,54%) (7). On observe d’ailleurs, depuis peu, une légère diversification parmi ces marchés (8). Cette situation se traduit aussi dans le PIB bioalimentaire québécois.
Selon les données du MAPAQ, les ventes totales de la filière réunissant la pêche maritime et la transformation des poissons et des fruits de mer du Québec étaient estimées à 658 millions de dollars en 2018 (9). Cela représente 2,25 % du PIB bioalimentaire québécois, lui-même estimé à 29,2 milliards de dollars la même année (10).
Des politiques de promotion des exportations
Pour comprendre comment ce modèle s’est construit, il est possible de remonter au début des années 1980, où d’ambitieuses politiques de promotion des exportations ont été mises en place. Pour le gouvernement du Canada, il s’agissait d’ouvrir les marchés étrangers aux entreprises canadiennes, par la négociation de traités de libre-échange et par des subventions aux entreprises exportatrices (11). Le gouvernement du Québec a adopté la même position. Au fil des années, les accords de libre-échange se sont multipliés, entraînant une ouverture toujours plus grande des économies: les pays exportent de plus en plus ce qu’ils produisent et importent ce qu’ils consomment. Ils sont de plus en plus intégrés aux circuits commerciaux et financiers du marché mondial (12). Au Québec, la multitude de petites et moyennes entreprises nées du morcellement des Pêcheurs-Unis (13) sera incitée à exporter, par le biais de diverses subventions directes et indirectes, en fonction de leur volonté et de leur potentiel à intégrer ces réseaux commerciaux.
Déjà peu présents sur le marché québécois, les produits marins du Saint-Laurent maritime ne le seront pas davantage : les exportations vers les États-Unis vont plutôt augmenter (14). Cette promotion des exportations est toujours à l’ordre du jour, même si plus récemment le discours sur l’autonomie alimentaire a refait son apparition. Cela, non sans une certaine ambiguïté: la prospérité est toujours conçue à l’aune de l’exportation des produits marins du Québec, mais l’on admet qu’il serait bien d’en trouver davantage sur le marché domestique. La récente Politique bioalimentaire du gouvernement du Québec, ainsi que le Plan d’action ministériel pour l’industrie des pêches et de l’aquaculture commerciales du Québec qui en découle, témoignent de cela (15). À la vue des mesures de soutien disponibles, il semble qu’il soit encore plus facile de vendre des produits du Saint-Laurent maritime en Chine qu’à Montréal: les entreprises bénéficient d’une gamme très complète d’aides à l’exportation. Sans compter l’appui du gouvernement fédéral qui, ces dernières années, a multiplié les signatures de traités de libre-échange afin de favoriser les exportations (16).
Conclusion
En somme, depuis que les ressources maritimes du Saint-Laurent sont exploitées dans une perspective commerciale, le modèle est demeuré en gros le même. Intégrées à des circuits d’exportation mondialisés, ces ressources suivent des chemins tracés depuis longtemps et sur lesquels les pêcheurs comme les transformateurs semblent n’avoir que peu d’emprise. Même si les espèces pêchées, les manières de faire ou les destinataires des produits ont considérablement changé au fil du temps, tous les œufs ont été mis dans le panier de l’exportation. Pourtant, le souci croissant des consommateurs pour obtenir des produits locaux, la montée des préoccupations envers l’autonomie alimentaire et les possibilités ouvertes par la récente politique bioalimentaire du Québec changent la donne. Il est en effet possible d’envisager une évolution favorable du modèle, qui pourrait miser sur l’élargissement du marché québécois. Pour cela, les politiques publiques joueront un rôle décisif, si elles sont animées par le désir de faire naître des initiatives structurantes susceptibles d’ouvrir le jeu pour les entreprises, les communautés côtières et les consommateurs. Le législateur pourra compter sur la contribution de coalitions d’acteurs souhaitant alimenter ces politiques et accroître substantiellement la part des produits du Saint-Laurent maritime dans l’assiette des Québécoises et des Québécois.
Références
1Vargas, R. (2019). «Portrait de la filière de la pêche maritime et de la transformation des poissons et des fruits de mer du Québec», BioClips, vol. 27, no 29, p. 1.
2Voir: [https://inter-j01.dfo-mpo.gc.ca/ctr/commercecanadien/].
3Voir note précédente.
4FAO (2019). FAO annuaire. Statistiques des pêches et de l’aquaculture 2017, FAO, p. 46.
5Chrétien, M. (coord.) (2018). Diagnostic sectoriel dans l’industrie des pêches et de l’aquaculture au Québec. Rapport final, Groupe AGÉCO et CSMOPM, p. 19-20.
6Gilbert, C. et F. Hitayezu (2018). «Les exportations de produits bioalimentaires québécois à l’horizon 2025», BioClips+, vol. 19, no 1, p. 4.
7Bélanger, M. (2018). « Classement des pays importateurs de poissons et de fruits de mer du Québec en 2017 », Pêches et aquaculture en nouvelles, Avril-mai, p. 4.
8Chrétien, M. (coord.) (2018). Op. Cit., p. 30.
9Vargas, R. (2019). Op. Cit., p. 1.
10Hitayezu, F., Gilbert, C. et U. Zombre (coord.) (2018). Le bioalimentaire économique. Bilan de l’année 2018, MAPAQ, p. 7.
11Daneau, M. (1987). «Les pêches canadiennes, objet de relations internationales complexes et conflictuelles», Études internationales, vol. 18, no 1, p. 140-141.
12Gagné, G. (1985). «L’État commercial ouvert», Conjonctures et politique, no 6, p. 21-22.
13Les Pêcheurs-Unis du Québec est une fédération de coopératives de pêcheurs, principalement situées dans l’Est du Québec, qui a été fondée en 1939. En plus de donner aux communautés côtières un instrument de développement, cette fédération a, entre autres choses, tenté de réorienter la commercialisation des produits de la mer vers le marché québécois.
14Chaussade, J. (1995). «Géographie des pêches canadiennes: un bilan des recherches», Norois, no 165, p. 177-178.