Le commerce international des produits de la mer au Québec : un portrait des échanges et des produits
Par Gabriel Bourgault-Faucher
Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC)
Les pêcheries au Québec sont au cœur d’un étonnant paradoxe.
Alors que les poissons et fruits de mer pêchés dans les régions du Québec maritime sont massivement exportés (1) , il se trouve que les produits de la mer consommés par les Québécois sont principalement importés. Ce paradoxe doit être davantage connu et mieux compris, à l’heure où l’autonomie alimentaire du Québec est une préoccupation grandissante.
Pour évaluer les marges de manœuvre et identifier les pistes d’action pour favoriser une plus grande consommation des produits de la mer pêchés au Québec, il convient d’abord d’avoir un portrait d’ensemble de la situation. Nous nous pencherons ici sur le commerce international (2) des produits de la mer au Québec, dont les chiffres illustrent bien les dynamiques contradictoires en présence dans l’économie des pêches d‘ici.
Crédit photo couverture: Tri du crabe à l’usine Unipêche MDM de Paspébiac RADIO-CANADA/ISABELLE LAROSE
Une balance commerciale négative depuis plusieurs années
D’entrée de jeu, un premier élément doit être relevé : la balance commerciale des produits de la mer est devenue nettement négative au Québec au cours des dernières décennies. Cela signifie que les importations ont commencé à devenir plus importantes – en valeur – que les exportations. Comme l’indique la figure suivante, alors qu’elle était encore positive au milieu des années 1990 (3) , la balance commerciale est entrée dans le rouge au début des années 2000.
Figure 1. Évolution de la balance commerciale internationale des produits marins au Québec entre 2010 et 2019. Source: compilation de l’Irec (4)
En comparant les deux courbes, nous constatons que c’est la croissance accélérée de la valeur des importations qui creuse progressivement l’écart entre les échanges.
Des exportations fortement concentrées vers un pays et autour de trois espèces
Examinons d’abord les exportations. Un fait ressort ici : de toutes les denrées bioalimentaires du Québec, les produits marins sont parmi les plus exportés. Entre 2008 et 2018, ce sont en moyenne 62 % des produits de la mer du Québec qui étaient exportés vers les marchés internationaux(5) La dépendance de l’industrie des produits de la mer à l’égard des marchés internationaux est donc très forte.
Depuis plusieurs années, la vaste majorité des produits de la mer du Québec est exportée aux États-Unis. En effet, en 2019, ce sont 81 % des 427 M$ de produits marins exportés par le Québec qui ont pris la route des États-Unis, principalement vers l’état du Massachusetts (6) . Cette destination est constante depuis au moins 2010, dans des proportions similaires. Du reste, le Danemark et la Chine ont chacun reçu 4 % des exportations de produits de la mer du Québec, tandis que le Japon en a reçu 3 %. Les autres pays destinataires, très nombreux, se partageaient les 8 % restants. Parmi les principaux, nous retrouvons la Corée du Sud, l’Espagne, Hong Kong, l’Italie et la France.
Fait à souligner : au cours de la période allant de 2010 à 2019, le Japon, Hong Kong, la Corée du Sud et, surtout, la Chine et le Danemark ont connu une importante croissance de leurs importations des produits de la mer du Québec. Il s’agit donc de marchés dont la demande est en hausse pour ces produits.
Quant aux principaux types de produits exportés, nous constatons qu’en 2018, les crustacés (surtout le crabe des neiges, le homard d’Amérique et la crevette nordique), même décortiqués, qu’ils soient vivants, frais, réfrigérés, congelés, séchés, salés, en saumure ou fumés constituaient l’écrasante majorité des exportations, soit 80 % de leur valeur totale. Suivent ensuite les préparations et les conserves de crustacés, de mollusques ou d’invertébrés aquatiques, qui comptent pour 8 % de la valeur totale des exportations (7) .
Enfin, en ce qui concerne les principales espèces exportées, ce sont sans surprise les trois principaux crustacés pêchés au Québec maritime qui occupent le devant de la scène, soit le crabe des neiges, le homard d’Amérique et la crevette nordique. À elles seules, ces trois principales espèces représentaient, en 2018, 86 % de la valeur totale des exportations de produits marins du Québec. Cette part est en croissance depuis 2012.
Figure 2. Répartition de la valeur totale des exportations de produits marins du Québec, par espèces, en 2018 (part en %). Source: compilation de l’Irec.
L’économie des pêches du Québec maritime dépend donc beaucoup de l’exportation de trois espèces marines. Ce qui signifie une très forte exposition de l’industrie et des communautés aux aléas des marchés, ce qu’a notamment mis en évidence la pandémie de COVID-19. De surcroît, ces produits sont dans l’ensemble assez peu transformés. Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement sur la question des chaînes de valeur des produits de la mer québécois.
Des importations diversifiées
Au chapitre des importations, d’importants constats s’imposent. Le premier est que la demande alimentaire en poissons et fruits de mer au Québec est largement satisfaite par les importations : pas moins de 64 % des produits de la mer consommés au Québec proviennent d’ailleurs (8) . La valeur des importations destinées à répondre à la demande est d’ailleurs en hausse.
Le second est que, contrairement aux exportations, le Québec a diversifié ses sources d’importation de poissons et fruits de mer depuis les années 2000 (9) . Pour faire face aux aléas des marchés, les entreprises québécoises ont développé des relations d’affaires avec plusieurs partenaires commerciaux internationaux. En 2019, les 580 M$ de produits de la mer importés au Québec provenaient des pays suivants:
Figure 3. Répartition de la valeur totale des importations de produits marins au Québec selon les pays de provenance en 2019 (part en %)
Au cours de la dernière décennie, le Chili s’est imposé comme la source première des importations de produits de la mer au Québec. D’autres pays comme l’Inde, la Norvège, le Pérou, l’Indonésie, l’Islande et, dans une moindre mesure, le Vietnam occupent des parts croissantes. À l’inverse, les États-Unis, la Chine et la Thaïlande ont vu leur importance diminuer.
D’autre part, les produits de la mer que le Québec importe sont plutôt variés. En 2018, les filets de poissons (34 %) et les crustacés, même décortiqués, qu’ils soient vivants, frais, réfrigérés, congelés, séchés, salés, en saumure ou fumés (23 %), sont les produits les plus importés. Suivaient ensuite les préparations et conserves de poissons (12 %), de préparations et de conserves de crustacés, de mollusques ou d’invertébrés aquatiques (9 %). Notons que depuis 2012, les types de produits importés n’ont pratiquement pas changé.
Enfin, les principales espèces importées, en 2018, étaient la crevette (28 %) et le saumon (22 %), suivies du thon (10 %) et du pétoncle (5 %). Entre 2012 et 2018, le saumon est l’espèce qui a connu la plus forte croissance, sa part dans la valeur totale des importations de produits de la mer au Québec étant passée de 15 à 22 %. Cette augmentation s’est faite au détriment de la truite, du tilapia et du pangasius, ainsi que du pétoncle qui ont tous vu leurs parts légèrement diminuer.
Conclusion
Ce tour d’horizon de l’évolution des exportations et des importations de produits de la mer au Québec au cours des dernières années montre essentiellement deux choses. Premièrement, les Québécois, malgré leur réputation de faibles consommateurs de poissons et de fruits de mer(10) , consomment aujourd’hui davantage que ce qui est pêché ici, aussi bien en valeur qu’en quantité. C’est entre autres ce que nous révèle la balance commerciale des produits marins, qui est négative de plusieurs millions de dollars depuis plusieurs années.
Deuxièmement, au regard de ce qui est pêché (espèces) et transformé (types de produits) au Québec, il y a un fort travail d’arrimage entre l’offre et la demande domestique à réaliser. Des signes montrent que les consommateurs sont aujourd’hui plus disposés à acheter les produits marins du Québec, qui répondent à des critères qualitatifs (locaux, gustatifs, nutritionnels, écologiques) qu’ils recherchent de plus en plus. Le développement de nouveaux circuits de commercialisation de ces produits au Québec, jumelée à un encadrement institutionnel adéquat, est susceptible de favoriser la substitution progressive des importations, au bénéfice d’une plus grande autonomie alimentaire et d’une diminution de la dépendance du Québec et des communautés maritimes à l’égard des marchés étrangers.
Références
1 Un premier article a d’ailleurs été consacré à ce sujet : https://www.mangetonsaintlaurent.com/2020/05/26/les-pecheries-dans-le-saint-laurent-maritime-une-economie-tournee-vers-les-exportations/).
2 En ce sens, l’analyse ne tient pas compte ici des exportations et des importations interprovinciales.
3 Pelletier, M. (1999). Métiers relatifs à la commercialisation et à la vente des produits marins : poissonniers, poissonnières, courtiers, courtières et distributeurs-grossistes, distributrices-grossistes. Étude préliminaire, MÉES, p. 26.
4 Cette figure, tout comme l’ensemble des données sur les pays destinataires ou de provenance des produits marins, ont été construites à partir des données sur le commerce en direct fournies par Innovation, Sciences et Développement économique Canada (voir : https://www.ic.gc.ca/eic/site/tdo-dcd.nsf/fra/Accueil). Nous avons compilé les données de deux industries, à savoir la pêche (code SCIAN 1141) et la préparation et conditionnement de poissons et de fruits de mer (code SCIAN 3117).
5 Gilbert, C. et F. Hitayezu (2018). « Les exportations de produits bioalimentaires québécois à l’horizon 2025 », BioClips+, vol. 19, no 1, p. 13 ; Vargas, R. (2019). « Portrait de la filière de la pêche maritime et de la transformation des poissons et des fruits de mer du Québec », BioClips, vol. 27, no 29, p. 1.
6 L’état du Massachusetts a reçu à lui seul 49 % des exportations de produits marins du Québec en 2019.
7 La figure et les données traitant des types de produits marins et des espèces ont été compilées à l’aide des données sur les exportations bioalimentaires québécoises, 2009 à 2018 (voir : https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Transformation/exportation et sur les importations bioalimentaires québécoises, 2009 à 2018 (voir : https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Transformation/importation
8 Un autre 25 % est importé des autres provinces canadiennes. Neria, L. (2019). « Le Saint-Laurent pourrait nourrir le Québec », Radio-Canada.
9 Kesri, K. (2015). « Les échanges commerciaux bioalimentaires du Québec : 25 ans après l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Portrait et évolution de 1988 à 2013 », BioClips+, vol. 17, no 1, p. 3.
10 Coulombe, C. (2005). « Entre l’art et la science : la littérature culinaire et la transformation des habitudes alimentaires au Québec ». Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 58, no 4, p. 507-533.
Crédit photo couverture: Tri du crabe à l’usine Unipêche MDM de Paspébiac RADIO-CANADA/ISABELLE LAROSE