La cueillette de plantes de bord de mer, un savoir-faire ancestral.

7 08 2020

Par Sandrine Leblanc-Florent et Frédérique Caissy

Professionnelles de recherche au CIRADD-Innovation sociale

L’alimentation traditionnelle autochtone regorge de secrets culinaires et demeure aujourd’hui peu connue.

En Gaspésie, le territoire est occupé par une présence humaine depuis plus de 9000 ans, à commencer par le peuple micmac issu des Paléoindiens et des Proto-Algonquiens de l’Est. Depuis, leurs descendants y habitent de façon permanente (1) .

Figure 6. Paysage de Gesgapegiag. Crédit photo: Thomas Romagné, 2020.

Dans le contexte de colonisation, leur alimentation dite ancestrale, soit la pêche, la chasse et la cueillette, s’est effritée d’année en année malgré les nombreux avantages qu’elle comporte. Par exemple, la cueillette est « l’occasion de fréquenter le territoire, de renforcer les liens communautaires, de transmettre des savoirs traditionnels écologiques et des savoir-faire alimentaires ou médicinaux » (2). En réponse à ce déclin des connaissances ancestrales, plusieurs initiatives développées par les Autochtones tentent de retransmettre les savoir-faire alimentaires traditionnels. Ces actions de réaffirmation permettent de valoriser le patrimoine autochtone et ainsi renforcer l’autonomisation de ces peuples. Parmi ces initiatives figure Salaweg, une entreprise qui offre des produits de qualité issus de pêche et d’aquaculture micmaques et malécites (1).

La cueillette de provisions destinées à l’alimentation peut prendre diverses formes, par exemple la cueillette de fruits sauvages, de champignons, de fleurs, etc. De plus, bien que le peuple micmac avait une alimentation basée davantage sur la viande et le poisson, celui-ci auraient bien subsisté grâce à l’apport significatif de plantes dans son alimentation (3).

Cela dit, dans l’objectif de démocratiser les produits comestibles du Saint-Laurent, le présent article porte sur les plantes de bord de mer et leurs origines ancestrales autochtones.

D’abord, les plantes de bord de mer situées sur les berges du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et de la Côte-Nord ont plusieurs bénéfices nutritionnels grâce à leur apport en vitamine C, en calcium, en fibre et en carbohydrate. De plus, les plantes de bord de mer occupaient une grande place du régime alimentaire autochtone puisqu’elles constituaient un apport important à la diète traditionnelle en matière de variétés et de nutriments (3). Elles font également partie intégrante d’un paysage unique et bucolique et elles apportent des bénéfices environnementaux en réduisant l’érosion côtière par la fixation des sols. Par ailleurs, la préservation et la plantation de cette flore de bord de mer des méthodes douces d’intervention pour agir sur l’érosion des berges, un enjeu omniprésent dans ces régions (4). Voici donc un survol de quelques-unes des plantes de bord de mer que vous pourriez repérer lors de votre prochain passage dans ces régions.

Le rosier sauvage (églantier)

Le rosier sauvage, aussi connu sous le nom d’églantier, est apprécié pour ses pétales consommées entre autres en tisane depuis des millénaires et cela encore aujourd’hui. Ses fruits peuvent être utilisés dans diverses transformations culinaires, notamment les confitures. Le rosier sauvage est particulièrement riche en vitamine C et en calcium. (3,5)

Figure 1. Rosier sauvage. Les trappeuses, 2016. (6)

Le gesse maritime
(pois de mer)

Les jeunes pois de cette plante, qui ont une couleur rougeâtre, sont la partie intéressante à consommer. Ayant une tige particulièrement cassante, il importe de se déplacer avec prudence afin de préserver les plants (5). Il s’agit d’une plante très riche en nutriments et en fibres. D’ailleurs, lors des premiers contacts en Nouvelle-France, la consommation de gesse maritime aurait facilité le rétablissement des colons atteints de scorbut. C’était une espèce qui faisait partie intégrante de l’alimentation des peuples autochtones (3,7).

Figure 2. Gesse maritime. Crédit photo : Frédérique Caissy, 2020

La salicorne

La salicorne, aussi appelée pattes d’alouette, est une plante de bord de mer qui gagne en popularité (5). Elle se trouve à divers endroits, notamment de La Pocatière aux confins de la Gaspésie (7). Lors de la collecte, il est important de ne pas couper le plan près du sol et de seulement cueillir les extrémités tendres de la plante, afin qu’elle puisse continuer à produire des graines et ainsi se régénérer. La cueillette peut débuter lorsque le plan a développé ses embranchements. Il est trop tôt, avant cela. Il est aussi important de limiter la cueillette à des zones où l’espèce est abondante (5). 

Figure 3. Salicorne. Encyclopedia Britanica, 2020 (8)

Sachez également que cette plante est très populaire en gastronomie (7).

Le persil de mer

Le persil de mer est une plante typique de bord de mer du Saint-Laurent (9). Pour la récolte, il est conseillé de prendre quelques belles feuilles en laissant les jeunes pousses au centre du plan. Elle s’apparente à plusieurs autres plantes, dont certaines sont toxiques. Il est donc essentiel de pouvoir bien l’identifier. Cette plante, très riche en vitamine C, a un goût de céleri et elle se cultive facilement en jardin (5).

Figure 4. Persil de mer. Aiglon indigo, 2018. (10)

Les algues

Les algues sont bien présentes dans les régions aux abords du Saint-Laurent. Elles sont consommées depuis des millénaires, mais restent peu populaires dans la culture québécoise. Or, de nombreuses entreprises se développent et permettent de démocratiser cet aliment en plus d’en accroître l’accessibilité  au sein de la population. En Gaspésie, le peuple micmac consomme des algues depuis des siècles en accompagnement aux poissons, viandes de bois et mammifères marins (11). Il s’agit d’aliments ayant de nombreux avantages nutritionnels. Par exemple les algues sont riches en protéines et en omégas 3 et 6. Ce sont également de bonnes sources de vitamines et minéraux, notamment la vitamine C et B12 (1) .  Elles peuvent être consommées sous diverses formes, soit séchées entières, séchées en flocons ou même fraîches. La cueillette se fait à marée basse, au moment de la pleine lune ou de la nouvelle lune. 

Figure 5. Kombu. Crédit photo : Frédérique Caissy, 2020.

Il s’agit là de moments optimaux qui permettent de récolter les algues fraîches. Claudie Gagné spécifie que « la technique de récolte consiste à couper l’algue en y laissant le pied qui est accroché sur la roche et une partie de l’algue » (5). Quinze espèces d’algues, dont le nori, le kombu royal et la laitue de mer, figurent sur la liste de Fourchette bleue visant à valoriser des espèces méconnues du Saint-Laurent (13).

Enfin, les savoir-faire et savoir-être sont nécessaires afin de conserver des méthodes de récolte éthiques et durables des plantes de bord de mer ancestrales cueillies depuis des millénaires sur ce territoire. Claudie Gagné rappelle dans son livre Les Jardins de la Mer qu’il est important de s’informer sur la façon de cueillir les diverses plantes afin de s’assurer qu’elles repoussent par la suite (5) . Les techniques de cueillette varient d’une espèce de plante à l’autre, ce qui nécessite un savoir-faire précis, d’où l’intérêt de bien s’informer sur leurs particularités avant de procéder à une récolte. Puis, l’espèce collectée s’inscrit dans un environnement global particulier. 

Ainsi, en plus de développer des connaissances et d’adapter les manières d’agir en fonction des espèces, il faut aussi s’adapter aux environnements de cueillette. Par exemple, il est souhaitable de prendre connaissance des règlements concernant des interdictions de cueillette et de se familiariser avec les espèces envahissantes qui pourraient se retrouver dans un environnement à risque et fragiliser les espèces plus lentes à se régénérer (5). Vous voilà maintenant mieux outillé sur les origines de cette tradition propre aux Autochtones qu’est la cueillette de plantes aux abords de notre Saint-Laurent.

Références

1 Mawiomi Mi’gmawei de Gesp’gewagi. (2018). Notre histoire Nta’tugwaqanminen : l’évolution des Mi’gmaqs de Gespe’gewa’gi. Presse d’Université d’Ottawa.

Gouvernement du Québec. (2013). Répertoire du patrimoine culturel du Québec, cueillette de petits fruits. Repéré à www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=18&type=imma#. XxiNdChKjIV

3  Arnason, T., Hebda, R., Johns, T. (1981). Use of plants for food and medicine by Native Peoples of eastern Canada. Canadian Journal of Botany, 59(11), 2189-2325. Repéré à https://www.nrcresearchpress.com/doi/pdf/10.1139/b81-287

4 ZIP Baie-des-Chaleurs, ZIP Îles-de-la-Madeleine. Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières. UQAR. Gouvernement du Québec. (2010). L’érosion littorale en Gaspésie Comprendre – gérer – agir. Repéré à www.strategiessl.qc.ca/pdf/cahier_special_erosion_2010.pdf

5 Gagné, C. (2018a). Recettes et propos salés : plantes de battures du Kamouraska. Les jardins de la mer.

6 Les trappeuses. (2016). La rose sauvage, une plante indigène magique. Repéré à https://lestrappeus.es/la-rose-sauvage-cette-plante-indigene-magique-recettes/

7 Cyr, C. (2016). Découvrir les plantes comestibles du littoral laurentien. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/795745/plantes-comestibles-littoral-salicorne-pois-plantain-rosier-epinards-ethique-cueillett

8 Encyclopedia Britannica. (2020). Glasswort. Repéré à www.britannica.com/plant/pigweed

9 La société des plantes. (s. d.). Persil de mer. Repéré à www.lasocietedesplantes.com/produits/persil-de-mer/

10 Aiglon indigo. (2018). Ligusticum scoticum. Repéré à www.aiglonindigo.com/produit/256/persil-de-me

11 Gagné, G. (2018 b). Des algues marines dans notre assiette. Le Soleil. Repéré à www.lesoleil.com/le-mag/alimentation/des-algues-marines-dans-notre-assiette-496f60f01bac7cdf8999186b4f0fd54b

12 Seabiosis. (2017). Les bienfaits des algues. Repéré à https://seabiosis.com/les-bienfaits-des-algues/

13 Exploramer. (2020). Liste des espèces marines valorisées par Fourchette bleue. Repéré à http://exploramer.qc.ca/liste-des-especes-marines-valorisees-par-fourchette-bleue/