Coureuses-cueilleuses de battures et de bords de mer
Par Hélène Raymond (1)
Journaliste, animatrice et auteure
Collaboration à la recherche, Laubélie herboriste et formatrice sur les plantes comestibles de bord de mer
Claudie Gagné, Les Jardins de la mer, Kamouraska
Arroche hastée, céloplèvre brillante, caquiller édentulé, hiérochloé odorante, sabline, ces mots révèlent des mystères. Ensuite, se pose un constat : on sait bien peu de choses du Saint-Laurent, de ses fonds marins tout autant que de ses grèves et des plantes qui les habitent. Leurs noms précis sont passés dans le vocabulaire sous leurs vocables usuels : épinard de mer, céleri de mer, chou poivré des dunes, foin d’odeur, pourpier des plages. Claudie Gagné les connaît pour s’être penchée sur chacune d’entre elles, en avoir étudié la reproduction pour évaluer leur fragilité, avant de les ramasser.
C’est sous la supervision bienveillante de François Brouillard que la cueilleuse du Kamouraska récolte ses premières plantes. Nous sommes en 1998. Elle n’a pas cessé depuis. Établissant son code de conduite de manière à laisser derrière le passage de son couteau assez de matière pour assurer la pérennité du plant, parce que c’est de cela qu’il s’agit : de végétaux vivaces qui se relèvent une fois la furie des marées d’automne et de printemps et les gels de l’hiver apaisés. Elle a peaufiné des méthodes de collecte éthiques et s’y conforme; reconnaissant, par exemple, le statut fragile de la salicorne ou encore le risque inhérent à une cueillette trop importante de cynorhodons, le fruit du rosier sauvage.
L’exagération tient à bien peu de choses et les conditions climatiques ajoutent à la menace. L’idée, c’est d’avoir le pied léger! Si les vents d’été vous mènent ailleurs que dans l’Est-du-Québec, son livre, Recettes et propos salés, peut vous transporter au Kamouraska. Il contient de précieuses informations botaniques, en plus des recettes.
La vision de Claudie se marie à celle de Manger notre Saint-Laurent : «Transmettre cet amour de la batture et des plantes de chez nous pour redonner au fleuve son importance dans nos vies.»
Annick Latreille, de Baies et de sève, Natashquan
Un jour, son travail l’a menée au pays d’origine de Gilles Vigneault, pour y offrir des ateliers de lecture aux enfants. Un peu après son retour à Montréal, elle a mis sa vie en boîte pour reprendre la route et renouer avec Natashquan, le dernier village de la Moyenne-Côte-Nord. Là où la lumière n’est à nulle autre pareille, où l’on peut se perdre dans les nuages…de moustiques, où la quiétude est assurée! Annick a apprivoisé l’immensité, commencé à cueillir des plantes sauvages et à les assembler. Quand est venu le temps de les cuire, elle a embaumé la cuisine de transformation de l’épicier local qui a bien voulu l’accueillir. Elle possède aujourd’hui son propre atelier, ajoute un séchoir et se promet d’ouvrir sa boutique l’an prochain, une fois la crise sanitaire passée.
Elle réunit deux plantes sauvages, le persil et l’épinard, dans un pesto maritime. Elle cueille le caquillier édentulé, dit que sa sabline est la plus belle parce qu’elle aime les climats frais et se réjouit de trouver la salicorne, une fois les grèves bien réchauffées. Seule en son royaume, Annick restreint les prélèvements devant le moindre doute sur l’abondance. Rentrée de ses visites en bord de mer ou dans la toundra, elle concocte ses produits de soins corporels et gourmands. Elle vend aux chefs de la Côte et dans des boutiques montréalaises. Surveillez-la, à Noël, ses excursions vers l’ouest la mènent dans des salons saisonniers.
Catherine Jacob et Gérard Mathar, Gaspésie Sauvage, Gaspé
Gérard nous pardonnera, il y a tant de femmes dans cette histoire que nous avons choisi de féminiser le titre de cet article! Ces pionniers de la cueillette de produits sauvages maritimes et forestiers de la péninsule travaillent dans le but de satisfaire les chefs montréalais, pour l’essentiel. Ils ont établi un système d’approvisionnement stable (hormis cette année bien sûr), qui répond aux fines exigences de la gastronomie.
Catherine confirme qu’avec des précautions, la régénération des plantes indigènes est quasi assurée. La première étant d’effectuer des rotations sur les lieux de récolte comme la plage. Il faut donc bien connaître son territoire! Elle énumère promptement les espèces: salicorne, persil, plantain, épinard, pois, mertensie et quelques autres. La préférée de Catherine? La mertensie maritime2: «pour sa fleur d’un bleu profond et sa saveur d’huître.»
Mathilde Cinq-Mars, illustratrice, de Trois-Rivières à la Côte-Nord
Mathilde offre une collection de jolies affiches sur lesquelles elle illustre la flore indigène. La plus récente représente ces végétaux de bord de mer, qu’elle a sélectionnés avec une amie, l’herboriste-cueilleuse de l’entreprise Laubélie.
«J’ai habité au Kamouraska, cueilli beaucoup là-bas. Je vis à Trois-Rivières et je souhaitais me les remettre en tête avant de visiter la Côte-Nord au cours de l’été. Je m’en sers aussi pour apprendre leur nom à ma fille.» Son affiche se double d’un aide-mémoire qui contient les informations sur chacune des plantes, de même qu’un rappel des consignes élémentaires qui s’applique à tous.
Dans quelques mois, on trouvera l’affiche de Mathilde dans une trentaine de points de vente et, en attendant, on peut se la procurer en suivant ce lien qui mène à sa boutique en ligne .
Crédit photo: Mathilde Cinq-Mars, illustration
Attention!
Ces récoltes exigent de multiples précautions. Si vous souhaitez découvrir la saveur d’une vivace maritime, respectez les espaces privés, ne prenez que ce que vous savez identifier, laissez une grande partie de la plante sur la grève, sans jamais tirer ou arracher ses racines. Allez-y avec parcimonie et consommez ce que vous cueillez. Ces plantes qui résistent aux vents et aux marées, méritent qu’on assure leur protection, tout comme celles des milieux où elles s’accrochent.
Références
1Courriel: heleneraymond@gmail.com; Blogue: https://heleneraymond.quebec/
2 Patrice Fortier, de La société des plantes, propose des semences de cette plante qui peut croître sans avoir les pieds dans l’eau salée. On peut également trouver des plants dans des jardineries spécialisées.
Crédit photo: Mathilde Cinq-Mars, illustration