L’économie des pêches au Québec : quatre constats clés pour mieux saisir l’état de la situation (partie 1/2)
Par Gabriel Bourgault-Faucher
Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC)
À la demande du collectif Manger notre Saint-Laurent, l’IRÉC a produit un rapport de recherche portant sur l’économie des pêches au Québec (1).
L’objectif de ce rapport est de présenter les dynamiques socioéconomiques qui ont façonné et qui façonnent toujours le secteur des pêches et les communautés du Québec maritime. Nous présentons ici les faits saillants de ce rapport, en commençant par l’exposition des quatre grands constats qui y sont établis.
Crédit photo: La Presse canadienne / Ryan Remiorz
Sans prétendre à l’exhaustivité, ces constats fournissent une grille de lecture de la situation générale de l’économie des pêches au Québec, telle qu’elle se présente sous ses aspects territoriaux et sectoriels. Une seconde fiche présentera ensuite les quatre propositions évoquées dans le rapport afin de soutenir l’amélioration de l’offre de produits marins du Québec sur le marché domestique.
Constat no 1 – Les pêcheries sont depuis longtemps tournées vers les – et dépendante des – exportations (2)
Depuis l’arrivée des premiers Européens en Amérique du Nord, la recette n’a pratiquement pas changé : on pêche puis on exporte, on fish and ship. L’économie des pêches au Québec est en cela complètement intégrée à des circuits de distribution globalisés. En 2018, 81 % des produits de la mer du Québec ont été exportés alors que 89 % des produits marins consommés au Québec ont été importés (3).Les ressources suivent, contre vents et marées, des chemins tracés depuis longtemps, et sur lesquels les acteurs du secteur halieutique du Québec n’ont que peu d’emprise. Au XXe siècle, la coopérative Pêcheurs-Unis du Québec a bien tenté de desservir davantage le marché domestique, sans toutefois parvenir à s’émanciper de sa dépendance envers les marchés étrangers (4) . À la suite de sa faillite en 1984, les actifs de la coopérative ont été privatisés pour faire place à une panoplie de petites et moyennes entreprises. À la même période, l’intervention étatique change d’horizon, pour se focaliser sur la promotion des exportations. La multitude de petites et moyennes entreprises nées du morcellement des Pêcheurs-Unis du Québec a, de ce fait, été incitée à exporter.
Si les dernières années ont fait place à un discours portant sur l’autonomie alimentaire, la promotion des exportations constitue encore aujourd’hui l’épine dorsale des politiques publiques. Le corolaire est que la demande intérieure est largement satisfaite par les importations. Ces dernières sont en croissance depuis plusieurs années, au point où les produits marins sont parmi les produits bioalimentaires les plus importés au Québec. Au tournant des années 2000, la balance commerciale des produits de la mer est d’ailleurs devenue négative. Les exportations n’ayant aucunement diminué depuis – bien au contraire –, c’est la hausse des importations qui est responsable de ce revirement de situation. Pour le dire autrement, la valeur des produits marins importés croît plus rapidement que celle des produits exportés. Cet état de fait montre qu’il y a un fort travail d’arrimage entre l’offre et la demande qui doit être accompli pour parvenir à une meilleure satisfaction de la demande domestique par les produits de la mer du Québec.
Constat no 2 – L’intervention étatique et les mécanismes de coordination entre les acteurs du secteur des pêches au Québec sont faiblement structurés
Au début du XXe siècle, les pêcheurs du Québec maritime se sont regroupés au sein de coopératives locales qui se sont ensuite fédérées pour former les Pêcheurs-Unis du Québec. Ce moment clé de l’histoire des pêches au Québec est marqué par la prise de contrôle, par les pêcheurs, des principaux leviers économiques de leurs activités. Soutenus par une intervention étatique de plus en plus structurée et cohérente, les pêcheurs ont pris en main leur devenir, en prenant appui sur un modèle de développement endogène, où les communautés de pêcheurs et l’économie régionale ont été au centre des préoccupations. Le secteur des pêches est en ce sens devenu un instrument au service de l’intérêt collectif.
En outre, l’expérience des Pêcheurs-Unis du Québec constitue un moment charnière où les activités du secteur halieutique ont non seulement été clairement séparées (production, transformation et distribution), mais aussi pensées et gérées comme une entité cohérente. Si la tangente vers l’intégration verticale prise vers les années 1950 a eu pour effet de négliger l’idéal coopératif au bénéfice de l’aspect économique – sapant par la même occasion les assises du modèle –, le regroupement de l’offre de plusieurs centaines de pêcheurs et de dizaines d’usines de transformation pour en faire une mise en marché collective a doté pour un instant le Québec maritime d’un puissant levier de développement régional, inédit jusqu’alors.
Quant à l’intervention étatique dans le secteur des pêches, elle a culminé au début des années 1980, autour de la politique de Jean Garon visant à atteindre l’autosuffisance agroalimentaire. Cette politique n’a cependant jamais pu être pleinement déployée. Prise entre deux courants, l’un menant à la centralisation de la gestion des pêcheries à l’échelle fédérale et l’autre conduisant au désengagement de l’État dans l’économie, selon les préceptes de la doctrine néolibérale, elle est rapidement devenue caduque. Depuis, l’intervention de l’État québécois dans le secteur des pêches est décousue, au détriment des acteurs du milieu, dont la désorganisation, à la suite de la faillite des Pêcheurs-Unis du Québec, n’améliore en rien la situation.
Constat no 3 – Les consommateurs se disent aujourd’hui plus que jamais prêts à acheter davantage de produits de la mer du Québec
Alors que les Québécois ne sont historiquement pas de grands consommateurs de produits de la mer (5), nous pouvons observer une augmentation de la demande en poissons et fruits de mer vers la fin du XXe siècle. Au début des années 2000, la consommation par habitant en poissons et fruits de mer a atteint un sommet au Québec. Depuis, elle a légèrement baissé et rien n’indique qu’elle augmentera de nouveau. En dépit de cela, nous pouvons observer une évolution de la demande vers des produits de la mer plus distinctifs, comme les produits écocertifiés ou les produits du terroir. Derrière cette consommation plus responsable se trouvent divers motifs d’ordre éthique, écologique, diététique, sanitaire, gustatif ou naturel.
Les produits marins du Québec correspondent généralement à ces caractéristiques recherchées par les consommateurs, contrairement à plusieurs produits marins importés. Surtout, les consommateurs québécois sont aujourd’hui prêts à acheter davantage de produits de la mer du Québec. La demande est actuellement largement supérieure à ce que l’industrie de la pêche au Québec est en mesure de fournir, et ce, tant en quantité qu’en valeur. Manger du poisson et des fruits de mer fait désormais partie des habitudes alimentaires des Québécois et ils sont prêts, de manière générale, à en payer le prix.
Constat no 4 – La concentration du secteur de la distribution alimentaire nuit à la commercialisation des produits de la mer du Québec sur le marché domestique
Ce segment est aujourd’hui largement dominé par une poignée de grands distributeurs au détail (Loblaw, Sobeys et Metro, auxquels nous pouvons ajouter Costco et Walmart) et en gros (Colabor, Service alimentaire Gordon et Sysco) qui parviennent à coordonner, par le biais de leurs centrales d’achat et de leurs politiques d’approvisionnement, des filières agroalimentaires entières. Ces distributeurs se retrouvent en position d’oligopole et d’oligopsone, ce qui ne va pas sans créer de sérieux problèmes, pour les pêcheurs et les transformateurs – comme pour l’ensemble des producteurs de l’industrie bioalimentaire québécoise d’ailleurs –, afin d’accéder aux tablettes et donc aux assiettes des consommateurs.
Puisqu’ils répondent à la très grande majorité de la demande alimentaire du Québec, ils sont ni plus ni moins des acteurs clés dont les stratégies de développement doivent être prises en compte dans toute politique visant l’autonomie alimentaire.
Cet enjeu est d’autant plus important que ces grands groupes continuent, devant une situation hautement compétitive, de s’intégrer. Or, il s’avère que la propriété des grands distributeurs échappe de plus en plus aux intérêts québécois, de sorte que les centres décisionnels – les sièges sociaux – sont relocalisés. En conséquence, la gestion de ces entreprises et, surtout, les politiques d’approvisionnement de ces grands distributeurs sont établies sans égard pour les producteurs et les transformateurs d’ici. Après tout, ce sont ces grands distributeurs qui sont les principaux importateurs de produits de la mer au Québec.
Conclusion
En somme, si ces constats ne se veulent pas exhaustifs et que d’autres éléments sont encore à prendre en compte dans l’analyse, ils offrent un premier tour d’horizon qui permet de mieux saisir les dynamiques à l’œuvre et comprendre certaines réalités marquantes du secteur des pêches au Québec. Ils sont également le socle sur lequel se fonde une série de quatre propositions afin de favoriser la commercialisation des produits de la mer du Québec sur le marché intérieur, propositions qui seront présentées dans la prochaine fiche.
Références
1 – Ce rapport a été publié en décembre 2020.
2 – Rappelons que ce constat a déjà fait l’objet de l’une de nos fiches précédentes.
3- Les chiffres et les faits historiques avancés dans cette fiche sont tous basés sur des études et des publications dont les références se trouvent dans le rapport de recherche.
4- L’épopée des Pêcheurs-Unis du Québec ainsi que les enseignements à tirer de cette expérience sont d’ailleurs abordés dans le cadre de deux précédentes fiches sur les coopératives (voir ici la fiche 1 et la fiche 2).
5 – À l’exception des populations du Québec maritime.
Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz