Le Salon Fourchette bleue – poissons et fruits de mer : un événement fondateur ​

28 03 2022

Par Gabriel Bourgault-Faucher

Chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine

Les 22 et 23 février 2022 se tenait le Salon Fourchette bleue – poissons et fruits de mer.

Organisé par Exploramer, une institution muséale à vocation scientifique et pédagogique localisée dans l’Est-du-Québec, cet événement a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire des pêches au Québec. En phase avec les appels à accroître l’autonomie alimentaire du Québec et à améliorer l’accès des Québécois aux produits aquatiques du Saint-Laurent, ce premier Salon a concrétisé la volonté d’un nombre croissant d’entreprises et d’institutions de voir évoluer le modèle des pêcheries vers la formation de nouveaux circuits de distribution et de valorisation des produits.

Nous proposons ici de faire un retour sur cet événement ainsi que sa signification pour l’économie des pêches et des communautés côtières.

Un rendez-vous des acteurs de première ligne

C’est avec l’objectif manifeste de devancer le Seafood Expo North America de Boston afin que le Québec puisse « se servir d’abord » que le Salon, en tant que foire commerciale en bonne et due forme, a réuni acheteurs et vendeurs de poissons et fruits de mer de partout au Québec. En plus d’une journée consacrée aux rencontres d’affaires, une demi-journée a également permis de tenir des conférences et des panels traitant d’enjeux cruciaux pour les entrepreneurs du secteur, tels la traçabilité et l’identification, la logistique et le transport, la réglementation et le financement.

Des partenaires de taille – comme le MAPAQ, Merinov, Aliments du Québec, les Sociétés d’aide au développement des collectivités du Québec maritime, Stratégies Saint-Laurent, le Comité sectoriel de main-d’œuvre des pêches maritimes, le Salon canadien des produits de la mer et l’Institut de recherche en économie contemporaine – ont d’ailleurs mis l’épaule à la roue ou délié les cordons de leur bourse pour faire de la première édition de ce salon un succès.

Car c’est bien sur tous les plans que le Salon s’est avéré un succès : seize exposants, 160 visiteurs d’une soixantaine d’entreprises et organismes variés, présence des ministres de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, et du Tourisme, Caroline Proulx.

Soulignons en outre que les entreprises (pêcheurs, aquaculteurs, transformateurs, poissonniers et restaurateurs) qui ont participé à l’événement affichaient des profils variés et représentatifs de l’immense potentiel qui caractérise le secteur. Les entrepreneurs animés par le désir de faire les choses autrement, valorisant la qualité des produits, le développement de circuits courts, de même que l’accroissement de l’autonomie alimentaire des gens d’ici, étaient particulièrement bien représentés.

Il faut aussi relever la participation d’acteurs d’accompagnement et de financement, qui offrent des services de transport et de distribution, ainsi que des opportunités de développement et d’investissement aux entreprises. Ajoutons à cela la présence d’intervenants régionaux, comme les municipalités, les MRC et les communautés autochtones, d’organismes de concertation ou de développement économique et des centres de formation ou de recherche pour les pêcheries. Une participation aussi diversifiée est un signe indéniable que des changements sont en cours dans les manières de voir et de faire.

Un événement fondateur

En fait, non seulement cette première édition du Salon Fourchette bleue a-t-elle été un succès, mais elle a constitué un événement fondateur pour une nouvelle économie des pêches au Québec. Cela, pour au moins deux raisons qui ont trait à la concertation inédite des entreprises et institutions québécoises du secteur.

D’abord, il s’agissait du tout premier salon commercial des pêches au Québec destiné à réunir en un seul lieu, et autour d’un cadre partagé, les entreprises et organismes québécois du secteur des pêches et de l’aquaculture commerciales. Le rapprochement des entreprises œuvrant dans différents segments de ces filières (capture, aquaculture, transformation, distribution en gros et au détail, restauration) a permis de signer des contrats commerciaux, de tisser des relations d’affaires, d’ouvrir de nouvelles avenues de valorisation, d’identifier des solutions communes à des problèmes rencontrés, d’envisager mutualiser des équipements et des expertises, bref de développer ensemble des filières de produits aquatiques au Québec.

S’il s’agit à première vue d’une chose simple, il se trouve qu’elle ne s’était jamais concrétisée auparavant, pour des motifs qui relèvent du modèle économique privilégié dans ce secteur depuis plus de quatre cents ans. 

Le projet de structurer de nouveaux modes de valorisation et de distribution de produits aquatiques québécois vers le marché domestique a été amorcé par ce premier salon commercial. Il s’agira maintenant de bâtir sur ce succès.

Ensuite, cet événement a permis aux acteurs concernés de commencer à définir ensemble, sur la base de leurs modèles d’affaires, les nouvelles avenues de développement du marché québécois. Cet aspect est essentiel pour la suite : l’identification des voies d’avenir, des blocages institutionnels et des obstacles logistiques constitue une étape cruciale pour le développement des filières au Québec. La collaboration, voire la coopération des entreprises peut être structurée autour de ce cadre partagé. Grâce à une coordination des forces vives, il est possible de développer des outils et des projets susceptibles de dépasser des obstacles réputés infranchissables. Pensons notamment à ceux qui ont trait à la logistique et au transport, à la main d’œuvre, à la traçabilité et l’identification des produits. L’une des clés de réussite réside sans doute dans une meilleure maîtrise de ces éléments, qui viendront faciliter de manière générale la distribution et la mise en marché des produits aquatiques.

En somme, les synergies qu’un tel événement est susceptible de créer laissent entrevoir un réel changement d’approche dans le secteur des pêches et de l’aquaculture commerciales.

Vers une nouvelle économie des pêcheries

Plus fondamentalement, le Salon Fourchette bleue a ceci de novateur qu’il montre tout le potentiel d’une nouvelle économie des pêcheries, qui se fonde sur une logique foncièrement différente de celle qui prévaut actuellement.

De manière similaire à ce que nous pouvons observer en agriculture – avec peut-être une vingtaine d’années de retard –, cette nouvelle économie est la combinaison d’une volonté de diversifier le modèle conventionnel actuel, d’une ambition d’accroître l’autonomie alimentaire du Québec, ainsi que de la conscientisation des consommateurs qui adoptent des pratiques plus responsables.

Cela se traduit très concrètement par la formation progressive d’un nouvel écosystème entrepreneurial. 

Cette nouvelle économie peut être qualifiée de « territoriale », dans la mesure où elle prend davantage en compte les potentiels et les spécificités des communautés où elle est ancrée, allant des localités aux grands centres du Québec.

Il va sans dire que ce modèle territorial vient reconnecter les liens rompus entre le secteur d’activité et son territoire d’implantation. C’est un modèle que nous pouvons qualifier d’endogène ou d’autocentré, puisqu’il se fonde sur le marché domestique pour assurer sa pérennité. Il se construit de manière relativement autonome par rapport aux économies étrangères, en misant notamment sur la substitution des importations par la production et la consommation locales. Enfin, il mise sur le développement de produits à valeur ajoutée, où l’on fait mieux et de manière durable avec les richesses naturelles disponibles. Le projet d’autonomie alimentaire du MAPAQ s’inscrit d’ailleurs, au moins en partie, dans cette perspective.

Un pas dans la bonne direction, mais encore beaucoup de chemin à parcourir

l ne faut pas vendre la peau du phoque avant de l’avoir tué ! Si une fenêtre d’opportunité s’ouvre en ce moment pour laisser entrevoir les contours d’une nouvelle économie des pêcheries, il faut garder à l’esprit que le chemin à parcourir demeure long.

Un premier constat qui doit être fait est que les entreprises qui souhaitent aller dans cette voie sont encore relativement isolées et faiblement coordonnées. Elles devront gagner en cohésion pour porter leurs initiatives à un niveau supérieur. Le Salon est un premier pas pour favoriser le développement de cette cohésion et miser sur les synergies qui surgiront entre elles. Il faut maintenant passer des discours à la mise en place de projets structurants.

Puis, il faut se rendre à l’évidence que des blocages institutionnels existent et limitent fortement l’expression du potentiel de cette nouvelle économie des pêcheries.

Bien que des entreprises poussent et que des intervenants dans le secteur fassent sentir leur présence, les mécanismes décisionnels et l’élaboration des politiques et des programmes demeurent l’affaire d’une poignée d’acteurs. Mentionnons par exemple la mission et le fonctionnement du Comité d’intérêt public du MAPAQ, qui semblent obscurcir davantage qu’accélérer la naissance de nouveaux projets d’affaires structurants pour le secteur et les localités côtières. Davantage de lumière devra être projetée dans l’avenir sur le rôle et les décisions de ce Comité.

Enfin, et plus largement, c’est l’encadrement législatif et réglementaire du secteur qui doit être questionné. Le déploiement d’une nouvelle économie des pêcheries à l’intérieur des limites posées par les lois et règlements en vigueur va impérativement exiger une révision en profondeur. Au Québec, ces lois et règlements ont été pensés et mis en place pour une approche industrielle axée sur les volumes et l’exportation. Il en va de même des politiques publiques qui favorisent ce modèle. Il y a ainsi nécessité d’adapter les politiques, les lois et les règlements à la réalité de ces nombreuses entreprises qui souhaitent aujourd’hui procéder autrement. En agriculture, ce chantier visant à faire cohabiter deux modèles aux logiques contradictoires est déjà entamé. Toutefois, dans le secteur des pêches et de l’aquaculture commerciales, les réflexions et, surtout, les actions tardent à voir le jour.

Conclusion

L’émergence d’une économie renouvelée des pêcheries est manifeste. Il s’agit d’un modèle qui vient aujourd’hui diversifier les approches et ouvrir les perspectives, au bénéfice des communautés côtières qui en ont besoin.

Les changements climatiques auxquels nous sommes déjà confrontés pointent vers une reterritorialisation de l’alimentation, des chaînes de valeur, bref vers des initiatives pour les communautés locales, régionales et nationale, par des circuits de proximité et des pratiques écologiques. En ce sens, les pêches, l’aquaculture et la transformation durables et artisanales représentent un pan déterminant de l’avenir du secteur. Faire mieux et plus intelligemment avec ce dont nous disposons doit devenir le leitmotiv.

Considérer les poissons et fruits de mer comme un stock de ressources se déclinant selon une logique de volume reste la pierre angulaire du modèle actuel : il s’agit de le faire évoluer vers de nouvelles pratiques, où l’exportation représentera l’une des nombreuses stratégies commerciales. Loin d’opposer un modèle à l’autre, il importe de les articuler de manière à faire primer les logiques locales dans l’élaboration des priorités de développement.

Nul doute que le Salon Fourchette bleue donnera le goût de l’avenir à ceux qui ont à cœur l’innovation, la découverte de nouveaux produits et l’appartenance à leurs milieux de vie. Il s’agit d’un rendez-vous pour l’an prochain.