L’état des pêches en temps de pandémie

21 12 2020

Par Sandrine Leblanc-Florent

Professionnelle de recherche au CIRADD-Innovation sociale

La pandémie de COVID-19 a entraîné des enjeux colossaux pour le secteur de la pêche commerciale au crabe, homard et crevette, notamment le retard de la saison de pêche, la baisse des prix à la sortie des bateaux, l’incertitude des marchés d’exportation, ainsi que les normes de santé et de sécurité sur les navires et dans les usines de transformation (1)

Le texte qui suit fait un retour sur ces enjeux et présente comment ceux-ci ont influencé le domaine des pêches depuis mars dernier.

Les pêcheurs ont vécu beaucoup d’incertitude au début de 2020. Cette incertitude s’est tout d’abord manifestée au regard des retards dans l’ouverture des saisons de pêche dans plusieurs zones de pêche. Puis, une nouvelle incertitude s’est manifestée à propos de la valeur des espèces pêchées au débarquement.

La saison de la pêche au crabe a débuté avec trois semaines de retard et s’est terminée deux semaines plus tôt en raison de la présence de baleines noires. Selon les zones, les pêcheurs ont été sur l’eau du 24 avril (ou 1er mai) au 30 juin environ. Il a donc été ardu pour certains pêcheurs de crabe d’atteindre les quotas prévus (2). Or, environ 90 % du quota total aura tout de même été pêché. Malgré la fermeture des restaurants et des hôteliers, causée par les restrictions due à la COVID-19, la demande a tout de même été assez forte dans les épiceries et sur le marché américain pour éviter la chute des prix redoutée par les parties prenantes de l’industrie des pêches (1,2).

La saison des homardiers a débuté le 9 mai en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, ce qui représente un retard de deux semaines en Gaspésie et aucun retard pour l’archipel (4).

Les craintes étaient nombreuses avant le début de la saison, car les principaux acheteurs de homard sont les restaurateurs et les hôteliers. Ainsi, les débouchés étaient incertains. Toutefois, les initiatives facilitant la traçabilité des produits telle que Le Panier Bleu, ont été bien reçues. Les pêcheurs ont donc pu se démarquer sur le marché vu l’engouement pour les produits locaux. Puis, le marché américain s’est également ouvert aux homards du Canada, ce qui a permis en bonne partie de compenser les ventes moins importantes dans les marchés de la restauration et de l’hôtellerie (5).

Malgré ces opportunités, les enjeux ont été palpables. Par exemple, le volume pêché a connu une hausse de 13,7 % par rapport à 2019, mais la valeur des débarquements a diminué de 15,5 %. Aux Îles-de-la-Madeleine, les homardiers ont pu obtenir 4,95 $ la livre en moyenne pour la saison 2020, comparativement à 6,65 $ la livre lors de la saison 2019 (6) .

En Gaspésie, le volume pêché aurait diminué de 15 % à 20 % par rapport à la dernière année. Le prix à la livre ayant aussi baissé entre 2019 et 2020, la rentabilité a été difficile à atteindre en 2020 pour les homardiers. D’ailleurs, « le prix moyen [que les pêcheurs] retirent est très proche de leur coût de revient » (5). En 2019, le prix de revient se situait autour de 6,50 $ à 7,75 $ la livre au débarquement, alors qu’en 2020 les prix oscillaient entre 5,10 $ et 5,15 $ la livre (5,7).

Enfin, la saison 2020 de la pêche à la crevette a débuté avec dix semaines de retard. Les négociations ayant mené à l’entente sur le prix à payer au débarquement ont notamment contribué à ce retard. Plus précisément, « au printemps, les crevettiers n’osaient pas partir sans la garantie d’avoir une saison et les usines ne voulaient pas ouvrir sans la garantie d’avoir un marché pour cette crevette principalement exportée en Europe » (8). Il a donc fallu trouver un terrain d’entente entre les pêcheurs et les acheteurs, d’où le délai d’ouverture de la saison (9) . Le fait que les transformateurs avaient encore des stocks de crevettes dans leurs entrepôts et la chute de la demande internationale ont également fait baisser les prix de la crevette (9).

En juin, après les négociations, les pêcheurs obtenaient entre 0,84 $ et 1,65 $ la livre selon la taille des crevettes. Puis, du 1er juillet à la mi-octobre, qui représente la fin de saison pour la plupart des pêcheurs, les prix ont été revus à la baisse, soit entre 0,78 $ et 1,20 $ la livre, selon la taille (9, 10). Malgré le contexte, la saison a été bonne, car la ressource était abondante. Les pêcheurs ont donc pu atteindre leur quota (10,11).

Bouleversement des marchés internationaux

La difficulté à retrouver les mêmes débouchés que les années précédentes sur le marché international se reflète sur la valeur des exportations pour le secteur alimentaire des poissons et fruits de mer en 2020 (12). En effet, la comparaison des données réalisée par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) indique une baisse importante de la valeur des exportations entre janvier et juin 2020 lorsque ces données sont comparées à la moyenne de janvier à juin pour les années 2017 à 2019 (12). Plus précisément, pour le secteur bioalimentaire des poissons et fruits de mer au Québec, la valeur moyenne des exportations dans les mois de janvier à juin entre 2017 et 2019 était de 277 millions de dollars, alors qu’en 2020 durant la période de janvier à juin, la valeur des exportations était de 208 millions de dollars, ce qui amène une variation de -25 % (12).

Mesures sanitaires en temps de pandémie

L’adaptation aux mesures sanitaires en vigueur dans les usines de transformation a été un enjeu majeur pour le secteur. Les acteurs du secteur ont donc travaillé de concert avec les intervenants de la santé publique et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) pour mettre en place les mesures nécessaires (1).

Dans les usines de transformation, des inquiétudes importantes ont été soulevées avant le commencement de la saison 2020. En effet, le nombre important de travailleurs dans les usines rend difficile la distanciation sociale et dans certains cas, une part considérable des travailleurs est d’un âge avancé, ce qui accroît leur vulnérabilité face au virus. De plus, les travailleurs étrangers sont essentiels à la réalisation des activités dans de nombreuses usines de transformation. Les restrictions à la frontière dues à la COVID-19 ont entraîné une incertitude par rapport à la capacité des travailleurs étrangers de venir travailler en usine (3).

En réponse aux enjeux sanitaires, de nombreuses procédures ont été mises en place dans les usines afin de réduire les contacts entre les employés (10). Les employés doivent généralement commencer leur quart de travail à une heure précise afin d’éviter que tous arrivent en même temps. Les employés doivent également se rendre directement à leur poste de travail, ce qui permet de diminuer à la fois le nombre d’interactions et le potentiel de transmission du virus. 

Dans certaines usines, la température des employés est prise à leur arrivée. Certaines usines ont également diminué le nombre de places assises à la cafétéria et demandé aux employés de prendre leurs pauses en rotation afin d’éviter les regroupements. Lorsque possible, des plexiglas ont été installés sur la chaîne de production pour ajouter une protection. Enfin, lors du transport des marchandises, des mesures comme le lavage de main obligatoire et l’installation de rideaux entre les sièges dans les camions de transport ont été implantées (3, 12) .

En terminant, cette année exceptionnelle a entraîné beaucoup d’insécurité et des pertes pour les parties prenantes de l’industrie des pêches. En mai 2020, le Programme fédéral de Prestation et de Subvention aux pêcheurs a été annoncé afin de soutenir les pêcheurs canadiens dont les activités économiques avaient été affectées négativement par la COVID-19 (13) .

De plus, le MAPAQ et Pêches et Océans Canada ont annoncé le financement de sept projets « visant l’adoption de technologies propres pour les pêches et l’aquaculture » (14). Ceux-ci joueront un rôle dans le développement et l’innovation de la filière tout en encourageant la relance économique des régions maritimes du Québec (14) . Puis, tout comme la grande majorité des secteurs économiques, le milieu des pêches a vécu beaucoup d’incertitude et a dû s’adapter à la transformation des marchés, à la baisse de valeur des produits et aux mesures sanitaires à appliquer. Heureusement, la sensibilité de la population et l’engouement pour les produits locaux ont permis d’améliorer le sort des parties prenantes de ce secteur, alors qu’en début de saison l’inquiétude battait son plein.

Références

Bérubé, J. (2020a, 16 avril). Une saison de pêche perturbée, le ministre André Lamontagne fait le point. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1694417/covid-19-peche-ministre-andre-lamontagne-mapaq-economie?depuisRecherche=true

Radio-Canada. (2020a, 14 juin). Semée d’embûches, la saison de pêche au crabe tire à sa fin. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1712027/peche-crabe-covid-baleine-noire-quotas?depuisRecherche=true

Radio-Canada. (2020b, 9 avril). La pêche au crabe dans la zone 12 est reportée de deux semaines. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1692591/peche-crabe-fruits-mer-pecheurs-zone-12-report-confirmation-golfe-saint-laurent?depuisRecherche=true

Radio-Canada. (2020c, 12 juillet). Une deuxième saison record pour la pêche au homard aux Îles-de-la-Madeleine. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1719183/peche-homardier-record-iles-prix-fruits-mer-bilan?depuisRecherche=true

Chapdelaine de Montvalon, P. (2020, 19 juillet). Les pêcheurs de homards de la Gaspésie évitent le pire. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1720833/homard-gaspesie-peche-panier-bleu-homardier?depuisRecherche=true

Larose, I. (2020, 23 octobre). Pêche au homard aux îles : de « dangereux précédents » malgré une saison record. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1743607/saison-peche-homard-2020-iles-de-la-madeleine-peche-subsistance-autochtone-homard?depuisRecherche=true

Radio-Canada. (2019, 19 mai). Vers une saison record de pêche au homard en Gaspésie. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1170748/peche-homard-gaspesie-record-perce

Bérubé, J. (2020b, 10 juin). Un ministre content, des crevettiers inquiets. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1710967/entente-prix-crevette-andre-lamontagne-coalition-golfe-covid-19?depuisRecherche=true

Bérubé, J. (2020c, 9 juin). Il y aura finalement une saison de pêche à la crevette. Radio-Canada. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1710625/entente-prix-crevette-usines-transformation-gaspe-2020

10  Fournier, J. (2020, 16 juillet). Pêche à la crevette : une saison comparable à aucune autre. Pêche Impact. Repéré à https://www.pecheimpact.com/peche-a-la-crevette-une-saison-comparable-a-aucune-autre/

11  Radio-Canada. (2020d, 22 septembre). Un nouvel outil à l’essai pour rentabiliser la pêche aux crevettes. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1735713/peche-crevettes-echo-trawl-quota-covid?depuisRecherche=true

12 Olatounde, J. (2020, 6 octobre). Les échanges internationaux de produits bioalimentaires du Québec au cours des six premiers mois de 2020 : contexte de la COVID-19. Bioclips, vol. 28, n° 17. Repéré sur lesite du MAPAQhttps://www.mapaq.gouv.qc.ca/SiteCollection-Documents/Bioclips/BioClips2020/Volume_28_no17.pdf

13  Pêches et Océans Canada (MPO). (2020). Programme de Prestation et Subvention aux pêcheurs. Repéré à https://www.dfo-mpo.gc.ca/fisheries-peches/initiatives/fhgbp-ppsp/index-fra.html

14  Cabinet du ministre du MAPAQ. (2020). Pêches et aquaculture commerciales – Ottawa et Québec annoncent le financement conjoint de sept projets visant l’adoption de technologies propres. Repéré à https://www.newswire.ca/fr/news-releases/peches-et-aquaculture-commerciales-ottawa-et-quebec-annoncent-le-financement-conjoint-de-sept-projets-visant-l-adoption-de-technologies-propres-860883922.html