Des huîtres pour Noël

18 12 2020

Par Hélène Raymond

Journaliste, animatrice et auteure

Des huîtres pour Noël?
Mieux encore, des huîtres du Québec pour Noël !

Depuis quelques semaines, les informations françaises font état de la détresse des ostréiculteurs qui voient, en raison des conséquences du confinement de fin d’année, le marché s’effondrer. Les Fêtes y représentent une part des ventes qui irait de 30 à 70% pour certaines entreprises. Des régions maritimes entières sont touchées. L’huître accompagne rassemblements et célébrations d’hiver. Ici, longtemps associées à l’automne, il semble que petit à petit, elles trouvent leur place sur les tables de Noël et du Nouvel An. 

Plateau d’huîtres. Crédit photo : auteur inconnu, image libre de droit, 2020

Dans l’atelier des Cultures du Large, aux Îles-de-la-Madeleine, loin des sites d’élevage de Charente-Maritime et des comptoirs des restaurants des grands boulevards parisiens, les choses bougeaient joyeusement en prévision des fêtes de fin d’année. Début décembre, les employés clouaient, une à une, les planchettes d’épinette du Nouveau-Brunswick et de peuplier de Mont-Laurier pour fabriquer les boîtes. Noël s’annonce bien, la Trésor du Large se retrouve, en plus des poissonneries, dans la circulaire de deux chaînes d’alimentation : « Ce qui fera la différence pour nous, ce sera d’écouler des volumes », explique Christian Vigneau, le propriétaire de l’entreprise.

Après les soubresauts du printemps, une saison touristique correcte, un automne caractérisé par des signes tangibles de l’engouement pour l’achat local, puis, une nouvelle fermeture des restaurants, ces ventes de Noël dans les commerces de détail aideront à boucler une année en dents de scie. Si vous croyez qu’elles peuvent patienter dans les parcs d’élevage jusqu’au déconfinement, détrompez-vous : 

« Entre la naissance et la cueillette, ici, il faut de trois à cinq ans à nos huîtres pour atteindre la maturité. Si on attend trop, le taux de mortalité augmente et provoque des pertes. » Le soutien des mangeurs est donc bienvenu.

Christian sur un bateau de pêche. Crédit photo : Les cultures du large, 2020

Un élevage de précision

Christian Vigneau sait où retrouver, à mesure, les huîtres prêtes pour le marché, grâce à un système pointu de traçabilité : « Nous achetons le naissain au Nouveau-Brunswick. Aux Îles, on procède au tri par taille puis, en bateau, nous allons les déposer sur les sites aquacoles où elles grandissent en pleine mer. Trois fois l’an, nos inspections facilitent le reclassement et quand nous arrive la commande, nous allons les chercher au bon endroit ». Les parcs sont installés, à sept kilomètres du port de Cap-aux-Meules, dans des zones libres de glace et relativement épargnés par les tempêtes, dans des lieux où la température de l’eau reste fraîche, même au cœur de l’été.

L’entreprise (auparavant La Moule du large) a été la première, au Québec, à obtenir un permis d’élevage en haute mer. Une décennie après l’immersion des premières cages dans le golfe, sept ans après les premières opérations de commercialisation, Christian Vigneau est fier de l’engouement provoqué par ses huîtres. Il ajoute qu’il pourrait facilement doubler la production pour atteindre les marchés d’exportation. Mais: « plusieurs Québécois doivent apprendre qu’on élève des huîtres ici. Plusieurs ne le savent pas encore. Il faut donc continuer de les faire connaître. » Il insiste : « On a notre place ! »

Bateau de pêche. Crédit photo : Les cultures du large, 2020

Consommation et élevage en hausse

Un portrait économique tracé par le MAPAQ pour cet article nous apprend que les premières expériences d’élevage ont eu lieu dans les années 1970 aux Îles-de-la-Madeleine et que les résultats étaient mitigés. Grâce à l’amélioration des techniques et à de nouvelles recherches, on émettait un premier permis en 1999. Sans succès toutefois. C’est donc à Christian Vigneau que nous devons cette relance. D’abord homme de pont, il est très jeune quand il acquiert son premier bateau de pêche. Dans la jeune vingtaine, quand il décroche un premier permis pour la capture du poisson pélagique, il constate rapidement que la pêche commerciale, sauf pour le homard, est en déclin. À partir de 2012, la mariculture deviendra son gagne-pain.

D’autres lui emboîtent le pas. En 2016, la Ferme maricole du Grand Large de Carleton présente la William B.  Premier entrepreneur du genre en Gaspésie, William Bujold nous explique qu’il a manqué de chance, à la toute fin de cette saison. Ses « William B », qui devaient être vendues pour les fêtes, resteront immergées dans la Baie-des-Chaleurs. Des arrivées massives d’eau douce, conséquences des tempêtes d’automne, ont provoqué l’arrêt prématuré des cueillettes.  Et ce n’est qu’une des difficultés rencontrées en 2020. Après des problèmes d’approvisionnement (il achète des huîtres adultes au Nouveau-Brunswick pour les faire grossir au minimum un mois dans les eaux québécoises avant de les revendre), une distribution en dents de scie plus complexe qu’à l’habitude, il se réjouit d’avoir maintenu le cap avec 50% de la production et se dit prêt pour 2021.

En Gaspésie, une entreprise travaille activement à évaluer le potentiel sur divers sites. Deux fermes madeliniennes, Grande-Entrée Aquaculture et les Huîtres Old Harry franchissent le cap de la mise en marché. Deux autres projets, démarrés en 2020, se situent sur la Côte-Nord. Pour l’instant, la grande majorité des mollusques que nous consommons proviennent du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard, qui arrivent au troisième et deuxième rang des provinces productrices canadiennes, après la Colombie-Britannique, qui trône en tête de peloton.

À Havre-aux-Maisons, chez Christian Vigneau, les rendements progressent de 5 à 15% par année. Les statistiques contenues dans ce portrait obtenu du MAPAQ le prouvent : en nombre d’unités, la production augmente, tout comme en valeur. « En 2015, l’huître représentait moins de 10% du volume des ventes réalisées par l’industrie québécoise, comparativement à 26% en 2019.  Elle atteignait, cette année-là, 65% de la valeur des ventes de cette industrie. » Au Québec, il semble y avoir un bel engouement dans nos régions maritimes.

La recette de l’ostréiculteur

Tous les producteurs répètent que c’est en les mangeant crues que se révèle le caractère du lieu dans lequel elles ont grossi. Christian Vigneau dit que c’est l’élevage en pleine mer, en milieu sauvage, qui confère à ses mollusques le goût qui les distingue : « Avant le sel, c’est une première note sucrée qui s’exprime et qui donne envie d’en manger encore plus! »

Pour varier, Christian suggère de déposer dans la coquille un mélange de pesto et de crème (à parts égales) et de gratiner avec un fromage relevé, comme la Tomme des Demoiselles ou le Pied de Vent, en ajoutant des échalotes finement hachées. Ce mariage de saveurs madeliniennes pourrait convaincre, même les plus récalcitrants.

 

Bon appétit !